La chance nous sourit. Un matin sans brume, une exceltion depuis plusieurs jours où la merveille s'était, nous dit-on, emmitoufflée dans de la ouate.
Le Taj Mahal, le mausolée de la favorite d'un empereur moghol du XVIIe siècle, n'est pas un bâtiment, c'est un joyau, un ivoire savamment taillé, enchâssé entre ciel et terre, dont l'harmonieuse symétrie et la marqueterie délicate des versets du Coran marient étrangement la rationalitê d'un homme de pouvoir soumis à un Dieu unique, qui savait sans doute que le Taj assurerait la pérennité de son nom à jamais, et d'un amant ensorcelé par une créature - une ensorceleuse? - dans une nation où les dieux se marient à la vie humaine à tout bout de cham.
On reste des heures à contempler l'œuvre immaculée et à rechercher secrètement les pensées et l'art de vivre de son commanditaire qui n'en vit rien. Combien de seigneurs érigèrent des demeures dont ils n'apprécièrent que le plan ou les fondations. Les bâtisseurs d'empire ou de nation ont l'imagination fertile et créatrice
Inde 2014 - Page 8
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Le maître du Taj et le viol d'Occidentales
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La char de Shiva arrive toujours à bon port
De Dehli à Agra, il n'y a 205 kilomètres, 205 km de bouchons ou presque. J'exagère un peu. Nous avons tout de même mis plus de quatre heures pour franchir l'obstacle grâce à un chauffeur expert en circulation indienne qui sait se faufiler entre les poids lourds bariolés, les bus déglingués, les automobiles, les motos, les triporteurs souvent surchargés, les tricycles fatigués et, ici et là, quelques rares piétons, buffles ou ânes égarés. En plus, la old road est payante.
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Des cités et des visages
Combien de visages avons nous rencontrés parmi ces foules immenses? combien sont restés cachés dans l'infinie cité? Le pluriel s'impose. Ici comme ailleurs. Car Delhi - presque deux fois la population de la Suisse dans l'espace de la moitié du canton de Vaud - est multiple et ses quartiers demeurent étrangers les uns aux autres comme des nations qui se côtoient, dressent entre elles des frontières, des espaces de transition tantôt francs, tantôt séparés par des rues béantes, coupées en leur milieu par des parapets, rehaussés de grilles en métal ou en béton, remparts percés ça et là de passages officiels ou conquis.
Aux abords de la vaste muraille esseulée du Fort rouge que l'on aperçoit par-delà un morne gazon ras, enceint lui aussi d'une grille interminable, close en ce 26 janvier, jour de la République, des Indiens, des tourises sans doute comme nous, massés devant les portes, immortalisent ce morceau de l'histoire tumultueuse de ce coin de terre du clic silencieux de leur ordiphone tendu à bout de bras.
Combien de visages avons-nous rencontrés en ce premier jour de notre troisième périple en ces contrées populeuses, moins colorées, mais pas moins souriante quand les regards se croisent, que celles que nous avons arpentées dans le sud. Quelques dizaines à peine.