Pourquoi la terre est ronde? Parce que! Parce qu'elle tourne!
Mais pourquoi elle tourne? Parce que... parce que l'univers est dynamique!
Et pourquoi l'univers est dynamique? Parce que... Parce que... Et puis tu m'énerves. Parce que c'est comme ça!
On a un peu assisté à ce genre de dispute ce soir à Uni Dufour.
À ma gauche, la gauche bi-colore (rose et rouge), représentée par le député de Sainte Marie, sa version sociale démocrate, et le député Batou, vieux militant trotskiste, une des nombreuses composantes d'Ensemble (?) à (l'extrême gauche). La gauche qui dit non à RIE III, car la dynamique de l'écosystème libéral lui fait peur. Elle préfère l'Etat, l'Etat qui crée des emplois, l'Etat qui redistribue la richesse, l'Etat qui conserve les moyens de ses politiques, notamment sociale, et ne les met pas en jeu via une réforme dont on ne sait combien elle va nous coûter: 5 milliards de pertes fiscales, estime Batou. (sur la photo ci-dessus, Batou et de Sainte Marie)
A ma droite, la droite monocolore (bleue PLR, pas d'orange PDC ni de vert foncé UDC ni de jaune MCG), représentée par le ministre de l'Economie (et de la sécurité), Maudet, et l'ex-député mais actuel président des SIG, Balestra. La droite qui dit oui a RIE III, la droite qui parie sur la dynamique du marché, le principe schmpeterien de la destruction constructive, la droite qui croit qu'en unifiant la fiscalité des entreprises, on créera de la richesse, des emplois et donc, à terme, plus de moyens pour l'Etat. La droite qui craint qu'un non le 12 février coûtera des milliards à la Suisse, 34 selon des experts bâlois, et 200'000 emplois.
Peur contre peur, la gauche l'a plutôt emporté ce soir devant une assemblée invitée par le PLR mais assez composite, qui a applaudit aussi bien la gauche que la droite.
La gauche, elle ne dit pas seulement que la RIE III va trop loin, coûtera trop chère à la Suisse et à Genève, elle a manifesté sa crainte de la dynamique du marché, la peur du lendemain (dont elle ne croit plus qu'ils vont chanter), elle est le reflet d'une société apeurée et paradoxale, une société qui vieillit, une société qui consomme à tout va, une société qui sait que la révolution 4.0 va bouleverser tous les métiers, une société qui sait qu'elle ne pourra pas financer l'Etat providence qu'elle a contribué à bâtir depuis 60 ans. Donc elle freine des quatre fers.
La droite a bien parlé, mais elle n'a pas su répondre aux craintes. Elle n'a pas réussi à sortir du discours manichéen: la RIE III ou la catastrophe.
Pourquoi?
Parce que la droite n'a pas de projet pour Genève autre que la croissance et l'emploi. Ce n'est pas rien, mais c'est un peu court. Maudet a bien cité la moitié du slogan de son parti (radical) "Liberté humaine, Justice sociale", mais ça manquait de conviction.
Parce que Genève est fragile. Plus fragile que Zurich.
Parce que Genève doit sa prospérité aujourd'hui au négoce, une activité que l'ont peut facilement délocaliser et qui profitera peu des outils offerts par la loi fédérale pour abaisser son bénéfice imposable.
Parce que l'Etat de Genève et ses communes dépensent déjà beaucoup par habitant, beaucoup plus que Zurich.
Parce que Genève (canton et communes) est de loin le plus endetté par habitant de tous les cantons suisses.
Parce que Genève n'a qu'une maigre marge de manœuvre pour moduler le taux d'imposition, contrairement à Zurich qui a fixé le taux normal à 18% mais exploitera au maximum les dispositifs prévus par RIE III ce qui permettra aux entreprises d'abaisser leur taux d'impôt à 10%, dixit Batou, trois points au dessous de Genève.
Ce que combat la gauche en fait, c'est la possibilité, le maintien, voire l'accroissement de la concurrence fiscale intercantonale. La droite s'en accommode, voire s'en réjouit.
Cependant, comme l'a d'emblée rappelé Jean Batou, la charge fiscale n'est pas le premier mais le deuxième critère d'implantation d'une entreprise.
Genève est une métropole internationale. Le sait-elle? Elle en a la culture. Sans doute se disperse-t-elle trop. Si Genève exploitait ses relations et institutions internationales à la moitié de ce que fait Lausanne avec le CIO, nulle doute que la querelle fiscale serait secondaire.
PS: Durant le débat, Balestra a évoqué un graphique montrant la hausse quasi continue des recettes fiscales des entreprises malgré RIE II qui, selon les calculs de l'USS "se situent en huit ans entre 9,5 et 13 milliards de francs, auxquels s’ajoute un manque à gagner pour l’AVS de 2 milliards". En 2014, la confédération a engrangé 61 milliards de recettes fiscales, les cantons 42 et les communes 26, soit environ 130 millions et donc 1040 millions en huit ans. Le manque à gagner dû à RIE II correspond donc à environ 1% des recettes fiscales suisses.
Commentaires
Il est possible que la gauche gagne la bataille de l'opinion, comme vous le dites, en jouant :
1. sur les craintes d'une partie de l'opinion par rapport à l'Etat Providence
2. Sur les jalousies à l'encontre des patrons et des actionnaires "qui vont encore s'en mettre plein les poches" et
3. sur le fait qu'une bonne partie de corps électoral genevois fait partie de cette classe de fonctionnaires hypertrophiée par rapport au reste de la population, et qui a tout à craindre de mesures d'austérité, mais qui, sécurité de l'emploi oblige, ne redoute pas l'augmentation du chômage en cas de rejet de la réforme.
C'est donc sur des sentiments de repli sur soi et d'égoïsme que se basent principalement les opposants (d'ailleurs il est étonnant que l'UDC approuve la réforme). Mais s'ils gagnent la bataille de l'opinion et celle des urnes, ils risquent de perdre (et de faire perdre Genève avec eux) la bataille de l'histoire.
Rappelons encore que la "concurrence" intercantonale, qui verra certains cantons utiliser des outils fiscaux que d'autres n'emploieront guère, se justifie par les différences de tissus économiques de l'un à l'autre. Genève n'a jamais eu vocation à être un pôle industriel ou de recherche important, au contraire de Zurich ou de Bâle. Dès lors, des outils tels que la patent box ou les intérêts notionnels (qui concernent surtout les entreprises industrielles fortement capitalisées) ne l'intéressent pas.
En revanche, Genève a toujours été un pôle pour les activités de service internationales, par définition moins capitalisées et très mobiles. Et donc soumises à la concurrence d'autres hubs, comme Londres, Singapour ou Dubai. Il importe donc, puisque des outils fiscaux adaptés à ce type de sociétés ne seront plus tolérés, que le taux général soit suffisamment bas pour ne pas prétériter notre attractivité.
Batou peut bien rappeler que la fiscalité n'est que le second critère de choix d'implantation d'une société, c'est quand même le SECOND critère. Il est donc important de le maintenir intéressant, surtout quand d'autres critères (coût de la main d'oeuvre et des infrastructures locales, sécurité juridique, etc.) ont plutôt tendance à se dégrader.
Rappelons encore que le 12 février, nous ne nous prononcerons pas sur le taux d'imposition des sociétés, mais qu'en revanche le paquet qui nous est soumis inclut notamment une hausse de la part cantonale à l'impôt fédéral direct. Pour Genève, dire non reviendrait donc en quelque sorte à se tirer une balle dans le pied.
Dès lors, et malgré la fragilité économique de Genève, cette réforme semble incontournable si l'on veut éviter à moyen terme pour notre ville, une décroissance, qui, si elle aurait théoriquement l'heur de séduire ceux qui pensent que le développement que nous avons connu ces dernières années était excessif et nuisible à notre qualité de vie, induirait malheureusement un marasme et une stagnation à la Detroit qui seraient sans doute bien pire pour le bien-être de la population.