Nous voilà donc tous des Charlie. Saine réaction face à la brutalité meurtrière de deux hommes qui donc ont "vengé le prophète". Réaction virulente surtout, analogue à celle d'un corps agressé qui mobilise toutes ses ressources pour affronter la menace, expulser le virus. Réaction exceptionnelle donc, comme les Une et les dossiers que les médias déroulent depuis ce funeste mercredi 7 janvier 2014, que d'aucuns ont déjà décrit comme le One Seven de la presse, en référence au Nine Elleven des tours de New York.
L'image est forte. Est elle objective?
Il se trouve que la Tribune a publié ce même jour une réflexion sur l'objectivité des journalistes, sous la plume d'un de ses anciens rédacteurs en chefs devenu maître en éthique journalistique. Contre le fondateur du journal Le Monde qui prétendait que l'objectivité est impossible et qu'il faut donc compter sur la seule honnêteté du journaliste, Daniel Cornu a trouvé auprès du philosophe Karl Popper une formule lui permettant de continuer à exiger cette quête impossible, que réclame le public. Popper, si j'ai bien lu, considère que l'objectivité ne sort pas toute entière de la plume des journalistes, mais qu'elle peut se dégager du débat citoyen qui suit la connaissance des faits. Cornu écrit: "L’objectivité ne serait pas due à l’impartialité personnelle du journaliste, mais au débat public que suppose la diffusion de son information".
Appliquée à l'épidémie islamiste, qui vient de frapper la France, mais qui chaque jour tue sans que les journaux n'en fassent leur une, ou à toute autre idéologie cancéreuse dont nous, l'Occident, ne sommes pas exempt, loin s'en faut, cette pratique poppérenne nous garantira-t-elle une connaissance objective des motivations et des intentions des meurtriers de Charlie Hebdo ou de celles de leurs malheureuses victimes? Quant à l'honneteté, elle se résume sans doute à la formule dont usait Pierre-Pascal Rossi a l'issue de son téléjournal: "Telle à été cette journée en Suisse et dans le monde à notre connaissance."