Quel est le pire travail d'un policier? La question est d'actualité, à l'heure où la publication du prix de revient pour l'Etat d'un simple agent rallume la polémique. C'est la publication récente du rapport Anoni et surtout celle du rapport de la Cour des comptes qui braquent le projecteur sur les mécanismes complexes de la rémunération de la police. Sur son blog, le député Pierre Weiss mène la charge, tandis que sur le sien le président de l'Union du personnel du Corps de police Walter Schlechten réplique coup pour coup. Le Conseil d'Etat reste coi prenant le risque d'être complice d'un Laurent Moutinot qui compte les mois qui le séparent de son terme au gouvernement sans gloire.
Que que fait donc la police? Il faut pour le savoir ouvrir un autre bréviaire que les deux rapports cités. Un ouvrage paru il y a un an bientôt chez Labor et Fides, qui ne s'affiche donc plus ostensiblement sur les gondoles des libraires. Sa mise est toute de pudeur, de misère, de prière presque. Il nous a fallu, hier chez Payot Chantepoulet - c'est un fait - le quémander au sous-sol. Il conte, cet ouvrage singulier, les derniers pas des hommes déjà froids avant que les Pompes funèbres les portent en leur ultime demeure, six pieds sous terre, ou ne les réduisent en cendres au crématoire de Saint-Georges. A moins de ne pas être retrouvés et d'échapper ainsi aux policiers, à ces inspecteurs en particulier, qui, cinq au six semaines par an, sont commis aux "Levées de corps".
Près d'une par jour à Genève.
Mes confrères Thierry Mertenat et Steeve Iuncker, deux travailleurs silencieux de la Tribune de Genève, restituent par l'image et par la plume, admirables toutes les deux, les dernières formalités qui précèdent la nuit du tombeau et que la loi enclenche comme l'on dit d'un interrupteur, lorsque la mort a saisi des humains au détour d'un crime, d'un accident, d'un suicide, d'une solitude. Toutes causes fatales qu'il faut élucider aux yeux de la société et des proches qui veulent, pas tous, savoir pourquoi, comment.
On ne lira sans doute pas ce livre d'une traite. C'est un bréviaire qu'il faut prendre chaque jour en main. Pour se souvenir que la vie humaine est bien étrange et que nul ne connaît son destin.
Merci à Thierry et à Steeve. Votre bouquin est formidable, au sens Ogi du terme. Et merci aux inspecteurs, aux légistes, aux thanatologues, aux employés des Pompes funèbres et à tous ceux dont le livre ne tire pas le portrait, pasteurs, curés, infirmières, médecins, fossoyeurs, dont la vie est d'être auprès des morts au quotidien.
Un travail qui n'a pas de prix.
Commentaires
Bravo pour cet article.
Bravo M. MABUT, vous avez raison de prendre du recul afin d'aborder notre profession avec un regard différent, humain, proche des réalités de notre travail et des parcours de vie de nos citoyens. La mort est la fin d’un chemin, et comme sur nos routes, il s'y trouve souvent un policier au bout.
Durant les années où j'ai travaillé en poste de quartier, j'ai souvent été confronté à ce que vous décrivez. La mort d'un être humain est à chaque fois une petite histoire, un chemin de vie que l'on doit reconstituer rapidement lors de nos interventions. Ainsi nous pénétrons, sans l’avoir souhaité, dans l'intimité du défunt et de ses dernières heures de vie.
Fin juin, une habitante du quartier n'a plus de nouvelle de sa voisine depuis trois semaines. Elle se fait du souci et appelle les gendarmes. A notre arrivée derrière la porte de ce petit trois pièces des Eaux-Vives, nous reconnaissons immédiatement cette odeur distincte qui nous informe que la mort rôde. A l'ouverture de l'appartement par le serrurier sollicité, cette odeur nous attaque de face, exportée vers l'extérieur par le courant d'air provoqué. C'est certain, nous allons être confrontés à la grande faucheuse. C'est là que notre cœur s'accélère alors que notre souffle se coupe, car nous pénétrons dans le logis, ne sachant pas qui nous allons trouver, dans quelle position, dans quelle situation, ni dans quel état. De plus, sachant qu'un corps se trouve en ce lieu, le policier se doit aussi de protéger des traces, car l'origine du décès reste une énigme jusqu'aux premières investigations. Ouvrir la porte d'une salle de bain, et tirer un rideau de douche en craignant de trouver la personne sans vie dans sa baignoire, couchée, pendue, noyée, ou en sang est un instant redoutable. Et si le corps n'est pas là, il nous faudra alors répéter cette démarche dans chaque pièce. Au fond de soi, on souhaite découvrir la vieille dame couchée dans son lit, afin de deviner une mort paisible, mais c'est rarement le cas. Touts les recoins de l'appartement ont été visités, reste la porte de la cuisine, qui est fermée. Plus de doute, la défunte se trouve derrière celle-ci. Il nous faut alors poser la main sur la poignée et doucement, avec respect, actionner le mécanisme d'ouverture pour pénétrer dans ce lieu glacial, alors que nous sommes en été. L'eau du robinet coule, la radio diffuse une légère musique. Sur la table un repas pas terminé en décomposition et sur la chaise, la locataire, assise, la tête en arrière, le corps affaissé dans ce siège. Ses bas se sont déchirés sous les effets de la putréfaction, ses jambes ayant doublé de volume. Sa petite robe bleue est propre mais pourtant on dirait un vêtement souillé. La moitié du visage n'est plus qu'un squelette alors que sur le reste les lambeaux de chair se détachent. Et puis, il y a ces mouches qui nous tournent autour, comme si nous étions leurs nouvelles proies. Nous les chassons de la main, ouvrons rapidement la fenêtre pour aérer les lieux. Mon collègue sort, de peur de vomir. Là il faut devenir très froid, oublier que cette dame est morte il y a trois semaines, en mangeant un morceau de fromage tout en attendant probablement que l'eau de son vétuste robinet devienne plus fraiche pour s'en servir un verre. Elle ne boira jamais ces dernières gouttes. Rapidement l'on comprend que la nature a probablement repris ses droits sans prévenir, mais que la solitude accompagnait aussi ce départ. Reste à mettre en route la machine administrative, trouver de la famille, faire venir les pompes, le Commissaire, trouver une pièce d'identité en fouillant un ou deux tiroirs. C'est là que l'on devine le parcours de vie de cette dame âgée. Des photos de sa jeunesse en noir et blanc, des vieux livres soigneusement rangés, un livret d’épargne échu, le portrait d'un chien qui a du être son compagnon de vie durant quelques années. Mais sinon, pas d'image de famille, quelques souvenirs de petits voyages effectués à Paris et Rome en car ou en train, une ordonnance avec l'adresse d'un médecin à côté de boîtes de divers médicaments. Cette femme est morte, seule, malade, avec ses souvenirs et en écoutant probablement une émission radio qui lui donnait l'impression d'avoir un hôte à la maison. Le corps a été levé, nous refermons la porte de ce logement dans lequel, durant trois heures, j'ai partagé la vie d'une femme que je ne connaissais pas, mais qui me semble plus proche maintenant, à travers le dessin de sa mort.
Le soir, il nous faut rentrer avec ça. Un drame de la solitude et le visage d’un mort. Ce sont des choses que l’on ne raconte pas à sa femme et ses enfants, car ils doivent pouvoir trouver le sommeil après. Mais nous, on tente d'oublier cette journée en s'endormant, tout en sachant que ces réalités là existent, car demain, nous devrons y retourner, car c'est aussi ça mon métier.
Walter SCHLECHTEN - Gendarme à Genève - Voleur de paie !
Vous m'étonnez M. Mabut, vous qui aimez écrire, savez-vous que Voltaire vous aurait détesté s'il avait su que vous m'aviez coupé mon accès aux blogs de la TDG, surtout que mes textes étaient correctement rédigés et la politesse y était toujours présente.
Votre censure m'est perçue comme une grande faiblesse pour un journal "en difficulté" et qui devrait peut-être à présent s'ouvrir davantage aux lignes des petits partis qui luttent à part inégale contre des censeurs au service de l'extrème gauche.
Henry Rappaz Vice président du MCG
Le langage qui fleurit sur les blogs doit être mesuré et rester courtois.
Bravo à M. Mabut de priver d'accès tous ceux qui méconnaissent cette règle ignorée des stauffériens.
Suite aux rapports, Monsieur MOUTINOT va présenter son agenda au Conseil d'Etat. les mesures annoncées sont révolutionnaires : revalorisation du début de carrière et fusion gendarmerie-PSI
La revalorisation du début de carrière est un dossier qui existe depuis de longs mois et qui était déjà prévu pour l'ensemble de la fonction publique mais le grand méchant mou vient de se l'approprier à peu de frais ...
Il y a quelques années, Minet n'était pas encore Président, l'UPCP et le SPSI (Syndicat de la PSI) s'était mis à travailler sur un projet de fusion. Puis ce projet a été repris par la direction de la police, qui a commencé par exclure les syndicats du processus. Le département a repris la main et nous avons été informé de l'enterrement de première classe qu'il lui avait réservé par une communication du service de presse qui s'intitulait : "Adieu Fusion ..."
Cela ne m'étonnerait pas que l'agenda en question prévoit un début de l'étude de la fusion à l'hiver prochain.