Vraiment, il faut beaucoup d'abnégation en ces temps de canicule pour s'enfermer dans la salle du Grand Conseil deux jours durant et y débattre des comptes de l'Etat de Genève. Grâce, une fois n'est pas coutume, soit donc rendue à nos élus!
Le rapport de la Commission des finances (PL 10248-A) vient à peine d'être livré dans les rédactions (A 16h cet après-midi, il n'est toujours pas sur le site du Grand Conseil). On espère que les députés l'ont reçu plus tôt. Combien seront-ils à se plonger dans ce document indigeste de 372 pages! Certes, seule une petite partie de ce document est l'oeuvre de la rapporteure Anne-Marie von Arx-Vernon, dont on sent la plume fort dirigée par les experts financiers de l'Etat.
D'autres documents à peine moins épais et plus rébarbatifs encore (cf le no 10039-A) sont à l'ordre du jour, lequel ne contient pas moins de 162 points. Pour mémoire, c'est dans de telles circonstances, au mois de juin 2002, que le Grand Conseil, lassé par des années de tergiversations entre l'option tram, train-tram, métro lourd et métro léger, finit par voter 400 millions pour réaliser le CEVA entre Cornavin et Annemasse (PL 8719).
- Est-ce l'ampleur de l'excédent de revenus inscrit dans les comptes en 2007 (786 millions de francs officiellement, plus d'un milliard en réalité), qui rend le contrôle moins sexy que lorsqu'il faut trouver des raisons au déficit,
- est-ce l'évanouissement du découvert inscrit au bilan de l'Etat, opération comptable annoncée pour 2008 grâce à une réévaluation des bâtiments et équipements publics à leur valeur de production, qui du coup relativise le poids de la dette,
- est-ce la valse des milliards dont jouent si habilement les experts du DF et de l'Inspection cantonale des finances, quand ils évoquent le chiffre d'affaires total que brassent chaque année l'Etat de Genève et ses filiales (plus de 10 milliards de francs) et les actifs qu'ils gèrent (plus de 20 milliards de francs),
- est-ce la complexité de la matière, est l'air du temps,
toujours est-il que les députés de la Commission des finances s'interrogent - et c'est heureux - sur le sens et l'importance de leurs travaux. Notez que ce n'est pas la première fois.
Le blues qui frappe nos élus trouve son origine dans le sentiment d'incapacité dans lequel la plupart d'entre eux sont de dégager un jugement pertinent sur la gouvernance de l'Etat et plus spécifiquement sur sa gouvernance financière. Ce n'est pas manque de compétences, on ne leur demande pas d'être des experts. Ce n'est pas faute de travail. Ils ont planché 27 heures en séance plénière sans compter évidemment la lecture des centaines de pages de rapports et lettres diverses. C'est peut-être tout simplement faute d'éléments de comparaison.
Les socialistes le notent d'ailleurs. Il nous faudrait définir des objectifs, écrivent-ils, pour savoir si l'Etat s'y est tenu ou s'en est écarté, de combien et pourquoi. Il faudrait aussi des indicateurs synthétiques de la bonne santé financière et pouvoir se comparer à des cantons ou des régions comparables.
Ces indicateurs financiers existent. Ils ont été élaborés depuis une dizaine d'années par le professeur Soguel à l'IDEHAP. Le magazine Bilan s'en sert pour établir le palmarès des bons et mauvais élèves. Mais on ne trouve nulle part dans le rapport de la Commission des finances de l'Etat de Genève une mention synthétique de thermomètre, baromètres et autres sismographes de l'activité publique.
Autre exemple plus simple peut-être. On apprend que le taux d'intérêt moyen de la dette du canton (un peu plus de 12 milliards de francs) est de 2,9%. Ce qui paraît bien. Mais quel est le taux moyen payé par les canton de Zurich ou de Bâle? Les Genevois auront peut-être la réponse d'ici demain soir, Selon la formule bien connu: quand je me contemple, je me contente, quand je me compare, je m'effraie!
Commentaires
Jean-François Mabut s’interroge sur le blues des députés et plus particulièrement sur le sens et l’importance que ceux-ci donnent à leur travail. Nous digressions, la semaine dernière, sur le compte d’Etat de la République et Canton de Genève (soit 472 pages) et sur le rapport de la Commission des Finances sur lesdits comptes (soit 372 pages)…
On attend donc des députés qu’ils aient donc d’abord lu le compte d’Etat puis le rapport de la Commission des Finances (soit 844 pages) avant que de s’exprimer « intelligemment » sur lesdits comptes !
Parfaite gageur… Voilà donc des députés de milice à qui l’on demande de connaître toutes les subtilités comptables des entités publiques (et il y en a beaucoup !) de se tenir au courant des nouvelles normes IPSAS en vigueur dès le 1er janvier 2009, de connaître les subtilités du budget de fonctionnement versus le budget des investissements, de comprendre ce qui gouverne les engagements de pied de bilan, et enfin de vérifier que les départements ne prennent pas trop de liberté avec le budget voté par le Parlement.
Cela fait en effet beaucoup…
Ce d’autant plus que la période budgétaire et la période des comptes ne se font pas en collaboration, mais en opposition. A l’exception notoire de David Hiller, conseiller d’Etat en charge des Finances, ces deux moments sont marqués par le jeu du chat et de la souris, tant l’administration financière des Départements n’entend pas ou peu collaborer avec les représentants du pouvoir législatif.
Aucune rancœur dans ces propos, juste un constat. Alors, que faire ?
Une partie de la réponse arrivera probablement lorsque le Canton de Genève adoptera le principe du budget par prestation. Ce type de budget, déjà en vigueur dans certains cantons dont Berne, postule que l’Etat liste les prestations, nombreuses, qu’il fournit et propose ensuite des montants pour effectuer lesdites prestations. Ce faisant, nous reviendrons à un budget ou à des comptes politiques, ce qui devrait favoriser grandement l’appréciation politique et non plus comptable des dits budget ou compte !