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L’évêque de Genève et le diable

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Les catholiques de Genève Sud avaient rendez-vous ce dimanche sur le pré pour une messe bon enfant et importante. Un peu plus de 250 fidèles ont assisté à la cérémonie présidée par Pascal Desthieux, bras droit de l’évêque de Genève, Charles Morerod, établi à Annecy depuis son expulsion au XVIe siècle, puis à Fribourg depuis 1819. 250 fidèles, c’est plus qu’on en attendait mais moins que trois pour cent des baptisés de la région.

Le point d’orgue fut l’inauguration officielle de la nouvelle unité pastorale qui réunit désormais sous l’administration de l’abbé Elie Maomou, débarqué de Guinée Conakry il y a deux ans, les paroisses de Carouge et des Acacias et celles de Veyrier, Troinex et Compesières.

Au menu, le diable, cité dans le Livre de la sagesse, première lecture du jour. Mais le malin se fit discret et resta confiné dans le Livre, rédigé 30 ans avant notre ère si j’en crois les clés de lecture du magazine Prions.

 

 

Notre vicaire épiscopal, dont le mandat viendra à échéance l’an prochain et dont la fonction évoluera vers une responsabilité de la région Genève confiée à un laïc, a longuement paraphrasé la première partie du texte - Dieu ne veut pas la mort. Il s’est bien gardé d’évoque la présence du diable, de son emprise, selon le Livre de la sagesse, sur chacun d’entre nous, cause in fine de cette angoissante rupture de la vie, point final de notre destin, y compris celui du fils de Dieu (ce qui lui a sans doute permis en descendant aux enfers de redonner espoir aux damnés en la miséricorde de Dieu). Dommage. 

Il faut lire le Livre de la Sagesse, car il tente une réponse à ce mystère de la mort que, dit la Sagesse, Dieu ne veut pas. 

«C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde ;
ils en font l’expérience, ceux qui prennent parti pour lui.»

Sans doute, dira-t-on, la messe sur le pré ne se prêtait pas à une glose sur la fin de vie. Mais, me suis-je dit, n’était-ce pas tout de même l’occasion de dire qui donc est ce Dieu qui ne commande pas la mort mais qui en est, comme nous, victime?

Qui donc est ce diable qui nous tient sous son emprise et fait des créatures de Dieu des mortels? N’a-t-il pas tenté de dérouter le fils de Dieu lui-même? 

Le malin est malin et se cache dans les détails. Il suffit d’y croire et de lui prêter attention pour qu’il se manifeste discrètement. Un peu comme Dieu. Est-il simplement ce principe d’entropie qui gouverne les systèmes thermodynamiques, dont le vivant, et les promet, à force de dégradations infimes, de fatigues et de fuites diverses, à l’inaction. Même le diamant devient poussière avec l’usure du temps.

Je reviens à Axel Kahn dont j’ai parlé dans ma dernière note. Le médecin dit: il ne suffit pas de s’abstenir de faire du mal, il faut faire du bien. L’éthicien se dit agnostique. Est-ce parce que le principe de l’entropie suffit à expliquer la mort sans recourir au diable des récits anciens? Mais son message est judéo-christique: faire du bien au plus petit d’entre-nous, n’est-ce pas respecter le créateur ou la création ou l’ordre naturelle des choses? 

Pas tout à fait, dirais-je, car sans attraction divine, sans foi à un principe d’amour, qu’on appelle Dieu depuis la nuit des temps, sans dialogue avec cette cause première et ceux qui l’ont approché, les saints, le bien qu’on peut faire s’inscrrit vite dans les mythes et l’impossible: le tonneau des Danaïdes, le rocher de Sisyphe

 

 

La fête fut belle

Le soleil était de la partie, l’herbe rafraîchie par la rosée matinale était un plaisir pour qui avait osé se déchausser, l’animation correct, le rituel égal à lui-même. Sa permanence rassure les uns, éloigne la plupart qui préfère se mobilier pour la planète ou pour les droits trop longtemps refusés aux enfants de Dieu qui défilent sous la bannière arc-en-ciel. Le repas canadien sous les frondaisons, un moment d’heureuse convivialité. 

J’y rencontre un Carougeois débarqué depuis une dizaine d’années de sa France catholique, où la confession des péchés est de règle et le prêtre qualifié de saint. C’est un jeune père de famille - il y en avait quelques-uns. Il s’investit dans la paroisse, bataille contre les routines, s’étonne qu’ici si peu de bénévoles marchent dans les pas du Christ. Et que, dans ce pays si protestant, les assistants pastoraux comptent leurs heures et leurs droits au congé comme des fonctionnaires. 

Il est un peu sévère sans doute. Il fait référence à ce temps où les patronages catholiques étaient au service de la population, encadraient les croyants du berceau au tombeau, ce temps où les confesseurs étaient d’aimables directeurs de conscience (et qui aime bien châtie bien…), ce temps où les messes carillonées rythmaient la vie des gens. Sobrement.

Un temps passé, si loin du temps présent, où l’on découvre horrifié, dans l’actualité du jour, ces charniers au Canada où des écoles tenues par des religieux se donnaient pour mission de redresser les enfants des Peuples premiers. Quatre à six mille gamins en sont morts, massacrés, enterrés sans nom. N’est-ce pas ce que nous avons fait avec les enfants du voyage? Nest-ce pas ce que nous avons fait en purgeant l’Eglise des avortées, des divorcés, des mariés mixtes, des gens de mauvais genres?… N’est-ce pas ce qu’on reproche au régime chinois aujourd’hui? 

Pas un mot durant la messe sur le pré. 

Cinq bougies sur le sable

A propos de mot, un dernier pour la route. La messe sur le pré était donc l’instauration officielle de la nouvelle unité pastorale Carouge Acacias Salève. Pour faire église, il faut des croyants (je ne dis pas des élus) - il y en avait un peu plus de 250 - et des signes (le diable qui adore les puces et l’électronique me fait écrire singe…). 

Vendredi soir, je reçois un courriel adressé au cinq président des Conseils de paroisse leur proposant leur proposant d’aller allumer une bougie au cierge pascal et la porter au pied de l’autel. J’ai répondu ok à condition de pouvoir dire un mot. Samedi soir, je recevais sans surprise la réponse que non, une prise de parole n’était pas possible… J’ai donc renoncé à jouer le jeu d’une cérémonie toujours sous l’emprise des clercs. Voilà le mot que j’aurais prononcé

Pardonnez-moi si ce mot vous offense. 

Ma bougie est éteinte. Ce n’est pas un accident.

Ma bougie est éteinte. Ce n’est pas un accident.

C’est l’état de la paroisse de Compesières.

Oh je vois bien ici, dans ce pré, quelques fidèles paroissiens de Compesières. Mes paroles les choquent peut-être. Ne sont-ils pas chacun porteurs d’une flamme dont ma bougie devrait être le symbole? Oui! Néanmoins notre paroisse s’éteint. Comme cette bougie.

Qui la rallumera? Le cierge pascal? Un jour sans doute.

Pendant le confinement, au printemps 2020, beaucoup d’entre vous ont regardé la messe télévisée. Les officiants dominicains ont pris l’habitude de proposer un verbe pour nourrir notre réflexion de la semaine.

Mon verbe pour cet été est brûler. De quel feu brûlons-nous ensemble?

A propos du diable, je relis régulièrement « Les 36 preuves de l’existence du diable », rédigé par feu André Frossard, l’ancien correspondant du Figaro au Vatican (Albin Michel 1978), un petit bijou.

Ici, quelques images de cette belle journée

Commentaires

  • Cher Monsieur, vous écrivez :

    "...Il est un peu sévère sans doute. Il fait référence à ce temps où les patronages catholiques étaient au service de la population, encadraient les croyants du berceau au tombeau, ce temps où les confesseurs étaient d’aimables directeurs de conscience (et qui aime bien châtie bien…), ce temps où les messes carillonnées rythmaient la vie des gens. Sobrement.

    Un temps passé, si loin du temps présent, où l’on découvre horrifié, dans l’actualité du jour, ces charniers au Canada où des écoles tenues par des religieux se donnaient pour mission de redresser les enfants des Peuples premiers. Quatre à six mille gamins en sont morts, massacrés, enterrés sans nom. N’est-ce pas ce que nous avons fait avec les enfants du voyage? N'est-ce pas ce que nous avons fait en purgeant l’Eglise des avortées, des divorcés, des mariés mixtes, des gens de mauvais genres?… N’est-ce pas ce qu’on reproche au régime chinois aujourd’hui?..."

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    Comme pour toute activité, entreprise ou institution bâtie par les créatures humaines, la question qu'il est hérétique de poser est celle-ci : Si un pouvoir est présent, à qui profite-t-il et pourquoi est-il détenu par certains plutôt que par d'autres ?

    Tant de servitude volontaire pour si peu de joie. Il y a en l'âme humaine trop de soumission, trop de peur, trop d'ignorance.

    Libérer l'enfant en soi, l'esprit curieux et attentif, la petite flamme de la vie que tant de pouvoirs tentent partout et depuis toujours de dominer, d'exploiter ou d'éteindre.

    Combats de jadis et de demain. Aujourd'hui préfère encore croire que l'humanité a une chance face à l'entropie mais persiste à préparer la défaite.

    Faire renaître la confiance sera le seuil à franchir pour nos descendants. Je leur en souhaite le courage.

    Merci pour votre attention.

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