Le référendum d'initiative citoyenne que les gilets jaunes veulent instaurer en France est une vieille idée, régulièrement jetée aux oubliettes de la République par les corps constitués. En France, le roi, l'Assemblée nationale et, sous la Ve République, le président ont été, sont l'incarnation de l'Etat, le seul, l'unique pouvoir qu'on ne saurait contester, sauf, petite concession au droit divin, à l'heure précise de l'élection, décrétée par la loi ou le roi lui-même.
Vouloir introduire un pouvoir populaire qui viendrait dicter la loi de la rue relève tout simplement de la subversion. Pire que des manifs circonscrites à quelques giratoires rupestres ou quelques rues de la capitale. A Paris, où tout se fait et se défait, les Jacobins sonnent l'alarme et peignent le diable sur la muraille: Imaginez que le peuple veuille rétablir la peine de mort ou abolir l'impôt sur la fortune... Bref, le RIC c'est de la dynamite.
Le 4 mars 2018, les Suisses ont accepté en votation populaire la 9e prolongation de l'impôt fédéral direct qui reste une loi à date de péremption (sunset law). Les Français seraient-ils incapables d'une telle sagesse?
La question m'interpelle.
Ligue d'autodéfense paysanne, née au XIVe siècle dans le courant européen de l'émancipation des bourgeoisies, la Suisse n'a rien de commun avec la France, dont la noblesse terrienne et médiévale a longtemps tenu cités et campagnes sous sa coupe, jusqu'à l'éclatement de la révolution - bourgeoise - de 1789. C'est ce modèle de l'Etat central, de l'Etat maximal, un modèle éruptif qui rythme la politique de notre grand voisin, depuis des siècle, jusqu'au coup d'Etat du général de Gaulle fondateur de l'actuel Ve République.
Pendant ce temps, les Suisses, confinés dans leurs vallées, leurs cantons, leurs puzzles linguistique, culturel et religieux ont longtemps policé leurs institutions, cultivant parfois plus que de raison la vertu de l'Etat minimal*. Ils ont inventé la formule magique qui règle leur gouvernance depuis 1959 et qui vient encore de démontrer sa belle harmonie en élisant sans coup férir deux femmes au Conseil fédéral. Bref, ils gèrent au mieux leurs affaires dans la jungle des "cliques affairistes et de quelques lobbyistes démasqués"
Crise institutionnelle à Genève
Pourtant nos institutions ne sont pas à l'abri de craquements et de tensions. Voyez notre gestion de nos relations avec l'Europe tout engluée dans la volonté populaire, instrumentalisée par les uns et les autres.
A Genève, république qui se pense à la française mais se gouverne à la suisse, une crise institutionnelle est en cours à propos de la consolidation de la caisse de retraite des fonctionnaires. Quelque 45'000 agents actifs et 4 milliards de francs sont en jeu (les retraités qui n'ont cotisé que la moitié de leur retraite sont eux protégés par la loi qui empêche de les faire contribuer à la réforme en cours).
Les gilets jaunes genevois
N'ayant pu suivre que de loin le débat complexe, j'ai donc lu que le projet de loi de la gauche qui vise à préserver les avantages (aujourd'hui exceptionnels - et donc indus? -) des cotisants à la caisse de retraite de la fonction publique cantonale a été adopté, vendredi, par 52 voix sur 100 par la gauche et son allié opportun: les gilets jaunes genevois, alias le MCG. Mais que le projet de loi du Conseil d'Etat qui veut fermer le tonneau des Danaïdes que constitue la garantie de mesurer les rentes en pour cent des derniers salaires touchés (primautés des prestations) a lui aussi été adopté par 48 voix grâce à l'abstention des Verts.
Aux urnes, citoyens!
La saga se poursuit ces jours avec:
- A ma gauche, le Cartel intersyndical des fonctionnaires et ses affidés socialistes augmentés les miettes de l'extrême gauche qui veulent que le Conseil d'Etat mette au frigo son projet et promulgue le projet de loi vainqueur, histoire de forcer la droite à lancer un référendum périlleux.
- A ma droite, on pense pouvoir soumettre au peuple les deux projets en concurrence, comme c'est la pratique lorsqu'un contre-projet est présenté concurremment à une initiative (vous me suivez?), une troisième question réglant l'affaire en cas de double oui. Bref la parole au peuple comme le réclame à longueur de blogs mon confrère Décaillet qui croit au Père.Mère Noël.
La gauche, d'ordinaire très démocratique, mais en vérité, toujours adepte du centralisme démocratique, dit que cette procédure n'est pas légale s'agissant de deux projets de loi et que le Conseil d'Etat aurait dû constater son échec devant le parlement et retirer d'emblée son projet.
Bref un joli casse tête que la Chambre constitutionnelle genevoise, une des rares innovations de la Constituante, sera vraisemblablement invitée à trancher.
* Dans le débat sur le RIC, la France ne doit pas oublier deux autres éléments qui font le génie suisse: l'élection proportionnelle qui contraint à la concordance et le fédéralisme qui tempère l'ambition que le premier à Paris soit partout le premier en France. On lira sur ce sujet le blog du maire de Saint-Julien, Antoine Vielliard: "Notre mythologie de la révolte et nos illusions d'hommes providentiels nous conduit interminablement d'espoirs en désillusions.
Commentaires
Contrairement à d'autres pays la France a combattu le régionalisme pour que seul son drapeau flotte dans les 4 coins du pays.
Le RIC aura peut-être cette perversité d'afficher des consensus régionales qui peut renforcer un nationalisme breton ou corse.
Ou encore, montrer le gouffre qui sépare les gens des villes des autres.
Le RIC est une bombe contre l'idée d'une France homogène. Peut-être que même nos voisins de la Savoie, verront qu'ils n'ont pas grand chose de commun avec les marseillais.
Dans ce royaume de France, la vieille noblesse politique va tout faire pour bloquer toutes mesures qui feraient des bretons, des bretons à part entière. Le RIC est donc trop dangereux pour eux.