ça doit être la troisième ou quatrième recension du dernier bouquin d'Eric Sadin parue ces jours dans les médias hexagonaux, le philosophe de 34 ans publie à l'Echappée "L'intelligence artificielle ou l'enjeu du siècle". Dans un entretien à Libération - Intelligence artificielle : «De plus en plus de spectres vont administrer nos vies» - je retiens notamment cette remarque: Au fond ces système computationnels sont dotés d'une singulière et troublante vocation: énoncer la vérité.
Énoncer la vérité, c'était naguère le lot quasi exclusif des prêtres qui lisaient les voi(x)es de Dieu dans ses livres. C'est plus prosaïquement l'affaire des hommes devant le juge dans son domaine normé, celle aussi des journalistes dans la contingence parfois étroite de l'actualité, des scientifiques encore - quoique ces derniers devraient cultiver plutôt le doute que l'affirmation péremptoire. Plus ils explorent les territoires inconnus, plus ils soulèvent la poussière des question(nement)s.
C'est donc l'affaire désormais de l'IA.
Il ne faut pas taper intelligence artificielle (18,5 millions d’occurrences dans Google français) ou artificial intelligence (378 millions d'occurrences dans Google anglais). La monstrueuse et instantanée avalanche des réponses ne dit rien de leur qualité mais cette profusion est justement des origines des prouesses de l'IA: la masse des données. Et si les Américains et les Chinois ont une longueur d'avance, c'est notamment parce que la quantité de données dans leur langue est bien supérieure actuellement à la masse des données dans les autres langues.
La profusion ne fait évidemment pas l'intelligence mais les systèmes d'IA ont notamment cette faculté de trouver des réponses ou de proposer des sens dans les flux gigantesques de données qui restent chaotique à nos yeux. Ainsi naissent des vérités qui nous étaient invisibles.
Le sens n'est pas toujours le bon sens, faculté essentielle, dont l'IA est actuellement furieusement dépourvue, mais que développent par mimétisme et apprentissage spontané les enfants dès leur naissance, mais qui semble les abandonner dès l'âge de l'adolescence... - il suffit de considérer les comportements à risques et addictifs de nos contemporains et de certains hommes politiques -.
Mais les scientifiques sont déjà sur la voie de leur en donner du bon sens aux robots ou d'installer des systèmes automatiques d'arrêt. Lorsqu'un ballon traverse la route, y a-t-il forcément un gamin qui court derrière, se demande la voiture autonome?
La vigilance est sans doute de mise. N'empêche que les machines et les robots ont jusqu'à présent plutôt soulagé les hommes des tâches pénibles, dangereuses, répétitives voire abrutissantes auxquelles nombre de nos semblables ont été et sont encore condamnés.
Bien sûr il faut s'insurger contre ces centres de traitement des commandes des clients, où chacun des gestes des travailleurs sont commandés par une voix synthétique générée par un système qui connaîtra rapidement toutes les forces et faiblesses de son esclave humain qu'on équipera bientôt d'un exosquelette pour le tenir debout et performant.
"Contre cet assaut antihumaniste, faisons prévaloir une équation simple mais intangible, conclut Sadin: plus on compte nous dessaisir de notre pouvoir d’agir, plus il convient d’être agissant." Je ne suis pas sûr que la guêpe qui s'agite dans son bocal soit capable de sortir du piège.