Au bout du lac de Genève, deux femmes illustrent l'accueil de la République dans la Confédération suisse en 1815. Elles ont fière allure à deux pas de l'horloge fleurie, en un des lieux les plus bruyants de Genève. La statue inaugurée à l'occasion de l'Exposition nationale de 1896 appartient au matrimoine genevois, pardon au patrimoine genevois.
La langue française a hérité patrimonium de Rome, qui n'a intronisé ni impératrice ni papesse. Certes le Littré définit le patrimoine sans distinction de sexe comme "les bien d'héritage qui descend, suivant les lois, des pères et mères à leurs enfants". Le patrimoine dont on hérite, ce sont des bâtiments, des terres, des papiers valeurs, des œuvres, brefs des biens qu'on peut échanger contre monnaie sonnante et trébuchante.
Par extension, on s'est mis à parle du patrimoine culturel, architectural, paysager, langagier, culinaire. On célèbre des Journées du patrimoine. L'Unesco apporte son crédit aux biens inscrits au Patrimoine de l'humanité. Il y en a actuellement 1031. Ces biens ne sont pas monnayable et ils n'appartiennent à personne et donc à tous. Et coûtent voire sclérosent.
En anglais, inheritance et heritage distinguent ces deux sens du mot patrimoine.
Et le matrimoine?
Quand le patrimoine parle bien qu'on détient, le matrimoine pourrait énumérer, remarquer et défendre les valeurs non monétaires qu'on donnent sans s'appauvrir, en fait tout ce qui fait tourner rond la société: la fraternité, l'amour des siens, l'amour du prochain, la paix, la justice, l'égalité, la liberté, la solidarité, la créativité, la vitalité, l'altruisme, le bénévolat, la bonté... La miséricorde, elle, dont Francois parle dans son dernier petit bouquin, est l'affaire de Dieu...
Notre société a patiemment et partiellement étatisé ces valeurs. La solidarité est largement l'affaire des barèmes fiscaux, des assurances sociales, des subsides publiques et des assistants sociaux. La justice est pour beaucoup l'affaire des juges. La paix civiles et internationales celle des policiers et des militaires.
A l'heure où une révolution technique - le big data, l'intelligence artificielle, la robotisation, les manipulations génétiques - des transformations majeures et des pertes d'emploi massives dans tous les secteurs économiques, obligeant à des reconversions aléatoires (lire l'interview de Klaus Schwab dans Le Temps), il est plus que temps de revaloriser le matrimoine, car le patrimoine que l'on chérit tant et sur lequel sont assises nos caisses de retraite, risque, lui, d'être passablement dévalorisé.
J'écris cette réflexion en pensant à la fermeture du cinéma Rialto et au crédit de 132 millions pour la rénovation du Musée d'art et d'histoire (combien de matrimoine dans ces murs bons pour la démolition?), sur lequel les Genevois (les citoyens de la ville uniquement) doivent se déterminer le 28 février prochain.
J'apprends aussi qu'un Tribunal genevois a donné raison à Rémy Pagani dans son combat de ne pas démolir un patrimoine du XIXe siècle genevois, le 37 rue . En fait, ce qui compte pour la magistrat (au fait comment le qualifier: communiste, anticapitaliste, socialiste de gauche, gauchiste?) c'est de conserver en ville des loyers abordables et de forcer une fondation (dont ça devrait être le but) de rénover ledit immeuble à moindre frais, au mépris sans doute des normes, de confort d'accessibilité, d'économie d'énergie, de bruit et j'en passe qui rendent la construction des logements neufs excessivement couteux.
Commentaires
Article très intéressant.Merci pour votre réflexion et, en particulier, ses références linguistiques. Je me demande pourquoi ce texte - comme bien d'autres - n'est pas publié intégralement dans la version-papier de La Tribune de Genève et doit se contenter du strapontin des blogs. Quand on se surprend à lire en priorité les blogs avant le journal-papier, je me dis qu'il y a du souci à se faire pour l'avenir notre presse classique.Salutations confraternelles.(jaw)