Je ne me suis pas ennuyé, j'ai même passé un bon moment hier soir au parc des Bastions devant le Mur centenaire des Réformateurs, fermé aux yeux d'une audience bien sage par de grands blocs de pierre, le temps - trop court en regard de la force du personnage - que le jeu des acteurs ne sculpte un Calvin au fond très conforme à son image de seigneur taliban*, le terrorisme international et l'asservissement des femmes en moins, le prosélytisme également chevillé au corps.
Un Calvin un peu coincé, très protestant genevois, nonobstant le Cantique des Cantiques qu'il impose dans le canon de la Bible contre l'arien Castellion et qui donne lieu à un très prude quiproquo avec sa mie Idelette. Un Calvin saisi par le doute, la peur de la putréfaction des corps et de la mort si commune alors, passionné par la science de Copernic et qui impose l'étude des classiques contre des pasteurs trop zélés, un rien bornés de la vénérable compagnie, et des hommes volontiers paillards et âpres au gain du Consistoire et du Conseil.
Coiffé d'une galette noire, vêtu d'un lourd manteau noir, barbe abondante, il réduit les Libertins au silence - ils l'ont fait venir pour assurer la liberté du commerce et secouer le joug de Rome et du duc voisin. Il forge l'âme de l'homme nouveau, laborieux, craignant Dieu, élu à la félicité ou à la damnation depuis le début du début - point d'indigent qui ne travaille dans la cité de Calvin, à moins d'expulsion et des poissionnières [doublement prédestinée] à la place que Dieu a choisi.
Il fonde la cité moderne, bourgeoise, créant après vingt ans de mise au pas d'un peuple, peu à peu majorisé par les Français, les Anglais, les Italiens, persécutés dans les royaumes alentours - on croit entendre Stauffer - , le Collège pour que tous puissent lire la Bible et l'Académie pour y former des pasteurs. Les femmes un temps admises en chaire pour suppléer la pénurie de prêcheurs furent tantôt remises à leur place, derrière l'homme.
Voilà les blocs de marbre qui glissent dans la nuit. C'est la fin. Apparaît la bande des quatre figés dans la pierre. On n'a parlé que de Calvin. Pas un mot du Vaudois Farel, de l'écossais Knox. Bèze, venu de Lausanne pour lui succéder, n'apparaît qu'à la dernière scène pour lire le testament social ou économique du réformateur: des prêts à zéro pourcent pour les pauvres et négociés à 7,6% pour les prêts commerciaux - le taux actuel de la TVA - la dénonciation des riches dont la richesse n'est légitime que si elle sert à nourrir les pauvres et à rendre gloire à Dieu.
Trois trombones à coulisse - pas de trompettes, on n'est pas au paradis - et le choeur contemporain - pourquoi n'avoir pas choisi un rappeur? - assurent la couture d'une oeuvre impossible. Un total un spectacle intellectuel - le texte de Beretti est intéressant mais il ne réussit pas à révéler l'originalité du calvinisme. Le chapelet historique, est un parti pris sans doute. Peut-être un manque de moyens d'une Eglise protestant peu aidée par une République devenue farouchement laïque - au fond, les Libertins ont gagné. Encore que les sermons des pasteurs d'antan résonnent en un étrange écho dans les discours de certains verts, communistes ou libéraux fondamentalistes d'aujourd'hui.
Peut-être aurait-il fallu s'imposer de jouer non pas devant le Mur des Réformateurs, mais à Onex, à Meyrin, à Annemasse ou aux Pâquis. Là où le coeur de la Genève du XXIe siècle bat vraiment. Là où vivent les pauvres et les migrants d'aujourd'hui. Où sont les flammes?
Fermée par le quartier des banques, la rue des Granges, le Palais Eynard et l'Université, la scène de Bastions est symptomatique d'une Genève qui se sent toujours menacée.
[ajout du 17 juillet] * un jugement contemporain, à l'époque Calvin n'était pas le pire des tirans et il reconnaissait aux femmes le droit de s'instruire. Quant à l'Opus Dei (pour répondre à un commentaire courageusement anonyme), cette organisation montre parfaitement le risque qu'encourt les disciplines qui sont souvent plus sévères que le maître. La pièce de Beretti l'expose parfaitement s'agissant de certains membres de la noble compagnie.
A voir jusqu'au 26 juillet. On peut acheter des billets sur place et manger une saucisse frittes hors de prix, arosée d'un déci de vin servi dans un verre en plastique dans un village huguenot très vente paroissiale.
A lire les critiques parues dans Le Nouvelliste, La Tribune de Genève, Le Courrier, l'interview de François Rochaix dans la Tribune.
Commentaires
Seigneur taliban, Calvin?! Hi hi! Quelle douche écossaise ou pavé dans la mare à cancans genevois. Il fallait oser. Félicitations Mr Mabut. Et faire jouer Calvin aux Pâquis avec les filles au balcon riant trop forts et jetant des clin-d'oeils aux spectateurs afin de les inviter à venir faire un petit tour du monde en ballon latex, quelle idée formidable et quel scandale dans cette ville parfois si coincée et si prude. Vous auriez du faire la mise en scène. Je suis sûr que le spectacle aurait fait son gros buzz et que les entrées d'argent auraient été au rendez-vous. Suisse ennuyeuse? Juste Suisse qui n'ose pas la performance artistique hors-normes. Hélas...
Vous votre truc c'est plutôt l'Opus Dei, y sont plus cool hein ?