Qu'y a-t-il de commun entre le lait, Kappel et Luscher? Les fins connaisseurs de l'histoire suisse savent que le chaudron de Kappel contenait une soupe de lait, dans laquelle les soldats confédérés trempèrent leur pain en attendant que les arbitres règlent le conflit entre le canton de Zurich, fraîchement réformé et déjà impérial, et cinq cantons catholiques au lieu-dit Kappel. Nous étions le 8 juin 1529. Une légende, qui appartient au mythes fondateurs de la Suisse, note l'encyclopédie en ligne wikipedia.
Et Luscher? Rien à voir. Le Genevois était inconnu outre-Sarine - nonobstant son idylle avec Lolita Morena, dont le Blick s'était fait l'écho - jusqu'à ces derniers jours et son envie de Conseil fédéral. Un signe pourtant, au-delà de ce magistral coup de pub. L'avocat d'affaires, qui admet dans la Tribune de ce jour que son élection représenterait pour lui un sacrifice salarial - "mais le revenu des Conseillers fédéraux est confortable" - est le pur produit de cette suisse "embed", moderne et prospère, où l'on retrouve pêle-mêle, la finance, le tic-tac horloger et la vache en ses alpages.
Or la finance est en crise, l'horlogerie bat de l'aile et la vache se porte très mal depuis quelque temps. Du côté des céréaliers, on broie aussi du très noir. Quant aux avocats d'affaire, nul plan de licenciements annoncé, la crise semble faire leur beurre autant que la surchauffe.
A Kappel, aujourd'hui même, se réunissent les producteurs de lait de 14 pays européens, le moral dans les chaussettes, le bas de laine plat comme une crèpe sans beurre. Tous sont confrontés à la chute des prix consécutive à une surproduction ravageuse et à la désolidarisation des producteurs - les gros ont abandonnés les petits, livrés sans défense aux grands commerces depuis la disparition du contingentement laitier le 1er mai dernier. Pour Uniterre, syndicat minoritaire, mais représentatif des petits et de l'esprit coopératif, qui diffuse un communiqué, l'heure est plus que jamais à la résistance.
Dans son édition de ce jour, Agri, le journal des paysans romands publie un billet d'humeur qui en dit long sur l'amertume qui envahit les campagnes: "Un litre de lait drink Past coûte 1,35 franc, alors que le litre de Coca se monte à 1,45 francs, quelle honte!"
Comble de l'ironie, Luscher, qui a été adoubé par l'UDC, est l'associé d'un autre célèbre avocat, connu entre autre pour broyer dans l'encre de sa plume magnifique les derniers paysans hérités du plan Wahlen et du temps où coopératives, kibboutz et kolkhozes avaient le vent en poupe. C'était au siècle dernier.
Ce siècle marche au pas de la mondialisation. A bientôt 50 centimes le litre à la production, le prix du lait est tombé en Suisse au niveau des années soixante, se plaint l'auteur anonyme du billet d'humeur du journal Agri. Qui ne dit pas que ce prix est encore le double de celui pratiqué en Europe.
La règle du marché est la même pour tous, répondront les Luscher boys: Si le prix ne couvre plus vos frais de production, abandonnez! La baisse de la production finira par rétablir un prix d'équilibre suffisamment lucratif pour les grands exploitations qui ont su rationnaliser leur production. C'est exactement comme ça que Coca peut vendre son soda 1,45 francs. Conclusion provisoire: mort aux vaches!
La photo ci-dessous diffusée par Uniterre ne manque pas de sel. Nos monts indépendants sont bientôt prêts à chercher refuge sous la poule européenne. ALEA jacta est!