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Que de palabres! Mais quel dynamisme!

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Impressionnant le temps que les Vaudois et les Fribourgeois ont pris pour réviser leur Constitution. Quatre ans et des milliers d'heures de débat pour un coût un peu inférieur à 5 millions de francs. Cent trente Fribourgeois, centre quatre-vingt Vaudois ont planché à raison d'un jour par semaine (sauf pendant les vacances scolaires). Parfois plus, parfois moins.

De réformes ambitieuses, point trop! Mais quel enthousiasme, quelle ferveur politique! Une véritable renaissance civique. C'est cela qu'on voulut transmettre, hier soir à Uni Mail, le Vaudois Alex Dépraz et la Fribourgeoise Bernadette Hänni-Fischer invités par l'Association pour une nouvelle constitution.

Les deux socialistes semblaient comme animés d'une véritable passion pour la chose publique. Nous n'avons pas seulement mis notre constitution au goût du jour, nous avons fait naître une nouvelle génération de politiciens, ont ils déclaré. De quoi donner envie et courage à la petite centaine de Genevois venus les écouter, parmi lesquels on repérait trois anciens conseillers d'Etat: Jacques Vernet qui du haut de ses fringants 80 printemps a introduit la soirée. Philippe Joye dont les questions ambitieuses sont restées un peu sans réponse. Olivier Vodoz qui est resté sagement silencieux.

Petit canton (douze fois moins grand que Vaud, six fois moins que Fribourg), enclavé en France, dominé par une ville (40% de la population du canton) jalouse de ses prérogatives urbaines mais institutionnellement sans pouvoirs, peuplé à 38% d'étrangers et à 35% de Confédérés, Genève est une République qui donne volontiers des leçons et n'aime guère en recevoir. Les expériences constitutionnelles vaudoise et fribourgeoise lui seront-elles d'une quelconque utilité?

Hier, on aura appris que la rédaction d'une nouvelle constitution est un processus, que les quatre années que l'opération dure valent autant pour la vie politique du canton que le produit qui en sort. Lequel d'ailleurs n'est pas coulé dans le bronze, la constitution vaudoise a déjà subi quelques retouches. L'esprit de conciliation, dont Jacques Vernet a dit qu'il devait être chevillé au corps des constituants est certes nécessaire, mais la diversité des personnalités, leur spontanéité, leur ambition civique le sont tout autant.

On a appris aussi qu'une révision constitutionnelle bien menée agit comme une catharsis, une psychothérapie de groupe. Tant pis si, à la fin, les grandes ambitions doivent se couler dans le moule assez étroit du possible. Un niet du peuple en octobre 2012 et la constitution radicale de 1847 restera en vigueur. On ne fait pas la révolution avec un crayon. Il faut savoir se réjouit de petits progrès. Ni Fribourg ni Vaud n'ont révolutionné leurs communes, leur districts, leur mode de gouvernement.

Enfin, a rappelé Alex Despraz, la constitution sera celle du canton de Genève, pas celle de la région franco-valdo-genevoise, ni celle d'une Genève indépendante, cité du monde. Elle devra obtenir la garantie des Chambres fédérales. Et devra en conséquence veiller à ne pas empiéter sur le domaine de la Confédération (énergie nucléaire, protection des animaux par exemple) ou à ne pas annexer ses voisins (la constitution du Jura a dû être expurgé d'un article annexionniste).

La nouvelle constitution vaudoise est entrée en vigueur le 14 avril 2003, date marquant le bicentenaire de la première séance du Grand Conseil vaudois. Fribourg a adopté sa nouvelle Charte fondamentale un an plus tard, le 16 mai 2004. Les deux assemblées constituantes, celle du canton de Fribourg a été imposée en votation populaire à un Grand Conseil qui n'en voulait, ont travaillé selon un canevas quelque peu semblable. A partir d'une feuille blanche. A Fribourg, un constituant, ancien conseiller d'Etat n'a pas réussi a imposer l'idée de travailler sur un avant-projet.

Les Fribourgeois ont d'abord travaillé en commission au nombre de huit. Ils ont rendu un premier jet sous forme de thèses, 391 exactement, et non sous forme d'articles rédigés. Cette démarche avait été initiéee par le Conseil d'Etat qui dès 1997 avait fait produire par un comité de pilotage formés d'experts et de hauts fonctionnaires des cahiers d'idées qui avaient reçu un bon écho.

Mis en consultation, les 391 thèses constitutionnelles suscitèrent un vif intérêt dans la population. 2565 questionnaires furent retournés dont 500 avec des commentaires élaborés. Un rapport de 145 pages en sorti, mais un constat: il n'y avait pas d'accord sur plusieurs questions difficiles. Le président de la Constituante rechercha alors avec les groupes représentés des conciliations. Ce qui permit à l'assemblée en trois débats en plénière de venir à bout du chantier et de voter le texte par 97 voix contre 21 et 2 abstentions. Fort du soutien du Conseil d'Etat, le texte fut adopté par 58% du corps électoral. Et l'ouvrage était remis officiellement le 16 juin 2004 sur l'Alpes aux autorités cantonales.

Les Vaudois travaillèrent eux tout de suite en plénière, à raison d'environ un jour - le vendredi - trois semaines sur quatre. Ils confièrent la présidence de l'assemblée à trois personnalités: la socialiste Yvette Jaggi, le libéral Jean-François Leuba (qui s'abstint au vote final) et le radical René Perdrix. Six commissions furent constituées. Les Constituants s'inspirèrent de deux avant-projets, un projet "jaune" dit projet Ziszyadis, alors chef du Département des institutions, un projet "bleu" du mouvement A propos, la constitution de Neuchâtel, oeuvre de Jean-François Aubert et Pascal Mahon, d'auditions d'experts, de textes préparés par le Conseil d'Etat et des idées des constituants eux-mêmes.

Au terme de 16 séances pour chacune des 6 commissions et de 23 session plénière, un avant projet de 230 articles fut réduit à 186 articles. Dix-neuf vendredi plus tard, à l'issue d'une deuxième et d'une troisième lecture, la Constitution vaudoise était adoptée le 17 mai 2002. La participation du public a été moins intense qu'à Fribourg. Deux milles réponses ont tout de même été reçus à l'issue de la consultation de l'avant-projet. Un site internet, une commission de jeunes et une lettre d'information ont entretenu le feu sacré.

Rédiger une Charte fondamentale n'est pas une mince affaire. Il s'agit après avoir dit pourquoi ou pour quoi nous vivons ensemble dans un territoire donné (et donc borné), de décider comment nous voulons vivre ensemble, quelles libertés, quelle égalité, quelle équité, quelle solidarité nous voulons nous garantir les uns aux autres, et parfois les uns contre les autres, fixer les droits et les devoirs selon qu'on est citoyen, natif, étranger, de passage, homme ou femme, enfant ou différent.

On comprend à l'évocation de cette liste qui n'est pas close combien chaque mot, chaque virgule a son poids. La constitution définit encore la bonne gouvernance de l'Etat et de ses parties, la manière de le financer. Elle peut ou elle doit aussi définir les grandes tâches du gouvernement et des administrations. Sans cesse il est question de limites, parfois infimes, de peut faire ou de doit faire. Les candidats à la Constituante genevoise sont prévenus.

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