C'est le paradoxe de cette ville qui n'est guère industrieuse et n'est la capitale de nulle part. Elle a trouvé sa fortune dans les relations avec le vaste monde que l'internationale calviniste a su tisser au fil des siècles. Genève n'a pas son pareil pour donner des leçons de droit de l'homme mais snobe volontiers son arrière pays. Un parti politique a même trouvé son fonds de commerce dans le mouvement antifrontaliers, que la ville et le canton ne cessent d'alimenter, faute de parvenir à construire assez de logements.
C'est un vrai problème, sauf à imaginer que, dans un avenir pas trop lointain, Genève saura nouer avec ses voisins des relations réellement win-win comme on dit aujourd'hui. On peut toujours rêver, car un tel avenir n'est institutionnellement guère envisageable tant que la Suisse demeure aux marches de l'Europe.
L'exemple emblématique, qui sert d'ailleurs essentiellement à fonder le retard de Genève sur Zurich, est le réseau RER, continuellement développé dans le canton de Zurich depuis 150 ans. Bien sûr, nous le promet-on, le CEVA mettra fin à ce retard séculaire. A condition que Réseau ferré de France décide d'investir dans le réseau ferroviaire monovoie haut-savoyard, dont on ignore généralement que la tension électrique est différente de celle du réseau français et du réseau suisse (carte ici). A condition aussi de ne pas en rester au CEVA côté genevois. Il faudra bien un jour faire sauter le bouchon de la gare de Cointrin, relier cette gare directement au réseau français et réaliser les bifurcations permettant aux habitants de la vallée de l'Arve d'accéder directement à Cointrin, sans devoir rebrousser chemin deux fois (une fois à Annemasse et une fois à Cornavin)
L'option de relier Ferney, Saint-Genis, Saint-Julien et Annemasse par des trams pose la question des temps de parcours qui peuvent très vite devenir dissuasif selon le lieu de travail et les possibilités de parking. Quant à l'axe lémanique, on peut douter qu'une seule troisième voie suffise à absorber la croissance démographique annoncée et inciter les pendulaires à opter pour le chemin de fer.
Pour le reste, il n'est peut-être par inutile de rappeler quelques évidences qui distinguent administrativement Genève et Zurich
La ville de Genève est minuscule.
Elle s'étend sur une superficie de 16 km2, celle de Zurich s'étend sur 91,8 km2. A noter que la commune de Zurich correspond au district qui depuis 1934 réunit 19 communes autour de la cité. Le district s'est fondu en une seule commune en 1989.
A cela, s'ajoutent les pouvoirs et compétences des communes qui sont beaucoup plus larges dans le canton de Zurich qu'à Genève. Le budget de la ville en donne un reflet significatif: 8,4 milliards pour 375'000 habitants sur les bords de Limmat, à peine plus d'un milliard en ville de Genève pour 191'000 habitants soit un rapport par habitant de 4 à 1 en faveur de Zurich. Le budget d'investissements de Zurich-ville équivaut presqu'au budget de fonctionnement de la ville de Genève.
Attention ces comparaisons brutes sont très sujettes à caution, car la ville de Zurich intègre le budget de l'hôpital (28% du budget) et des services industriels (18%). Au bout du Léman, ces services sont organisés en établissements publics autonomes. Un point sur lequel le modèle de gestion en vigueur à Genève est en avance.
Enfin, Corine Mauch est présidente de Zurich durant toute la législature et ne dirige qu'un département présidentiel. A Genève, c'est le règne du tournus annuel qui prévaut. Le maire n'a aucun pouvoir particulier.
La constituante qui veut donner un président durable au canton n'a pas opté pour cette formule pour les communes.
Dernier petit clin doeil, le site de la ville de Zurich propose quelques pages en anglais et même un paragraphe en chinois. A noter aussi que la puissante ville de Zurich offre un lien vers le site du canton, ce qu'on ne trouve pas immédiatement sur le site de la ville de Genève, qui est cependant présente sur les deux médias américains Youtube et Facebook.
Le titre de l'article paru dans la Tribune du 3 février est une citation du maire de Genève. Tirée d'un débat, organisé par le Club des quatre saisons, qui a opposé Pierre Maudet à sa collègue zurichoise Corinne Mauch. «Zurich reste un modèle, reconnaît le magistrat libéral radical. Nous réalisons avec quelques années de retard que Genève est une vraie ville, avec le changement d’échelle que ça suppose. Nous devons nous en inspirer pour rattraper la distance.»
Cette phrase me poursuit. Ainsi, pour Pierre Maudet, Genève n'aurait été et ne serait peut-être encore qu'un irréductible village gaulois. La ville en cultiverait l'esprit: la résistance au changement, la peur de la croissance, le nombrilisme. Bref, chez eux, les Genevois semblent avoir fait leur la devise de Candide: "Il faut cultiver notre jardin".