Le syndrome de Gulliver inventé par le psychologue Olivier Brachfeld frappe les enfants qui se trouvent trop petits ou trop grands et ne sont jamais capables d'affronter correctement les problèmes, soit qu'ils jouent les forts en bras ou en thème, soit qu'ils se dévalorisent.
"Genève offre un exemple frappant de cette difficulté, écrit Chérix. Soit elle se pense mondial, indépendante des petitesses helvétiques - on pense aux résolutions adressées aux puissants par nos parlements cantonaux et municipaux - soit elle érige des polémiques locales en enjeux de société." Et l'auteur de citer l'une des trente personnalités, qui alimentent l'ouvrage en analyses (im)pertinentes, Jacques Pilet, romand, créateur de l'Hebdo, exilé à Zurich downtown (p. 168): "Quand Genève se croit autonome, alors qu'elle est profondément imbriquée dans l'économie et les mentalités romandes, elle se marginalise, au sein d'une minorité déjà marginale, dans un pays marginalisé en Europe." Tout est dit.
Que manque-t-il aux Romands pour faire de la Romandie, une nation? Le mot nation ne fait pas partie du vocabulaire de François Chérix. En Pays de Vaud, il renvoie en effet à La Nation, organe de la Ligue vaudoise.
Et pourtant, chanter le Pays romand et vouloir forger la Romandie au rang des régions autonomes de l'Europe Unie - le bonheur - implique, dixit François Chérix, la création d'une entité politique: un peuple, une frontière, un gouvernement, comme diraient les Jurassiens. Mais l'histoire ne repasse pas les plats. Leurs Excellences de Berne ont été chassées du sol romand. Calvin, Davel et Béguelin ont forgé les cantons de Genève, de Vaud et du Jura, pas la Suisse romande. Laquelle n'a plus d'ennemis même pas la Suisse aléménique - qui n'existe pas plus que la Romandie - et qui est pour nous un père généreux et magnanime.
Manque de confiance en soi, manque d'ambitions? A l’heure où le Conseil d’Etat genevois, dans sa quête de la métropole Genève, pose son agglo franco-valdo-genevoise à la charnière entre deux régions d'égale importante (cliquer sur la carte pour l'agrandir), la Suisse et Rhône Alpes, que le grand Jura - formé de Neuchâtel et des six districts francophones - finira tôt ou tard par tomber dans l'attraction bâloise, que le Valais est la banlieue touristique de l'arc lémanique, que Fribourg finira par parier sur un bilinguisme assumé, seul le canton de Vaud se sent au fond orphelin d'une Romandie qui lui échappe.
Un mot encore à propos des ambitions. Nos deux "hommes forts" du moment - Hiler et Broulis - s'embrassent sur la bouche à propos de la troisième voie CFF. Oublient-ils nos deux présidents, que Zurich et bientôt Lucerne creusent des tunnels et créent des gares à deux étages. Ne savent-ils pas que l'ancien patron des CFF est en train de créer une compagnie ferroviaire en Autriche pour relier Vienne à Salzburg à 200 km/h?
L'ambition pour la Romandie serait de construire non pas une troisième voies, mais une deuxième ligne entre Cointrin et le plateau suisse, passant par Yverdon, Payerne (extension de l'aéroport). Mettre Berne à une heure de Genève, Zurich et Bâle à deux heures, voià une ambition digne du XXIe siècle. Le temps des nations, c'était la mode du XIXe siècle.
Sur le même sujet, on lira le commentaire de Philippe Barraud: "La Romandie n'existe pas. Heureusement!".
La Suisse romande n'existe pas. Pas plus que l'Occident ou le Bonheur. Mais pour nombre de Romands, cette absence de réalité politique est un manque. Ils en font donc une quête, la quête d'un pays, d'un chez soi, d'une identité: comme si être suisse était pour un Romand inconfortable, incongru, inconcevable même. On n'ose plus trop être européen - l'ogre fabriqué de l'administration bruxelloise a fait son oeuvre - ou alors seulement comme on peut être occidental. Dans l'idéal. Alors on reste genevois ou vaudois ou jurassien ou valaisan. Mais le monde a grandi, le village planétaire est peu ou prou une réalité.
La semaine dernière un hebdo créé par un éditeur alémanique a remis le couvert pour la cinquième fois: les cent personnalités qui font la Suisse romande. Et de triturer le rêve l'espace d'un jour. A coups d'indicateurs économiques, de discours. Nous serions de ce côté-ci de la Sarine, pour une fois, les bons élèves. Et serions même face à la crise "mieux armés que les Alémaniques". On veut bien le croire. La méthode Coué a vu sa valeur exploser à mesure que dégringolaient les cotations boursières.
Quant à la Romandie, elle continue de faire rêver ceux qui sont frappés du syndrome de Gulliver, comme l'explique François Chérix, dans un ouvrage un peu laborieux emballé dans une couverture rouge.
Au fait, quel seraient le drapeau, les couleurs, l'hymne de ce non pays romand?