La route de Bardonnex ne conduit pas à la porte de la Suisse, la fameuse douane autoroutière de Bardonnex, dont les bouchons, à peine réduits par la pandémie, révèlent au quotidien l’incapacité durable de nos autorités politiques de les faire sauter*. Non la route de Bardonnex dont il est question ici commence au bas d'Arare, un village qui domine l'opulente zone industrielle de Plan-les-Watches.
Entre les industries et le village, il y a encore quelques champs où sera érigé bientôt un nouveau quartier, onze bâtiments, une centaine de logements, quelques commerces. L'examen public du projet commence ce 10 décembre en ligne ici. Plusieurs parcelles sont concernées dont les deux plus grandes appartinrent à une mienne cousine. Les paroisses de Compesières et de Plan-les-Ouates en furent les heureuses légataires concurremment avec des neveux, après son décès en 2004.
Une des parcelles contenait une vieille maison de famille et un bâtiment agricole qui fut un temps la demeure de la famille Bourqui, dont nombre de rejetons ont fait souche dans nos villages.
Que faire d'un terrain agricole dont l'herbe ne nourrit plus ni âne ni mouton mais est potentiellement promis à la construction? D'agricole, ces parcelles, comme d'autres dans le canton, n'ont de fait que le statut (dans le plan ci-dessous, on remarque que le nœud autoroutier est en zone agricole). Elles émargent sans doute à l'inventaire des terres cultivables dites enclavées et trop exiguës pour une exploitation agricole rationnelle. Quoique les jardins familiaux ou les fermes urbaines écologiques ont redonné leurs lettres de noblesse à la petitesse et au slogan small is beautiful.
Pour les promoteurs et la commune de PLO, à l'évidence, l'avenir de ces parcelles est d'être bâties. Arare ne sera plus un village mais deviendra un quartier d'une continuité urbaine. On notera dans le cas présent une parfaitement cohérence avec l'image en amibe de la Genève des années 2050, promise dès 2007 par le projet d'agglomération franco-valdo genevois (sauf que l'urbanisation de la plaine de l'Aire de Lancy à l'autoroute A1 viole ce principe mais ceci est une autre histoire).
Les deux parcelles de ma cousine, alors en zone agricole, furent bientôt mises en vente par les héritiers et les deux paroisses, impatientes de transformer en francs la terre d'Arare ou incapable d'attendre un peu quel sort l'Etat allait réserver à ce coin de terre. Plan-les-Ouates réduit sa dette. Compesières investit la somme dans la rénovation du chauffage et du chœur de l'église. Une opération qui offrit au passage à l'archéologue cantonal d'éventrer le sol du sanctuaire, d'avril 2005 à juin 2006, pour n'y trouver guère plus de vestiges que ce qui avait déjà été fouillé au début des années 1950**.
Cependant, selon les droit foncier rural suisse, une parcelle agricole ne peut être acquise que par un agriculteur et à un prix plafonné pour éviter un endettement excessif - inférieur à 8 fr le m2 généralement, sauf cultures spécialisées -, à moins que la commission foncière agricole n'en décide autrement, ce qui fut le cas ici. Pour en connaître le prix, les parcelles furent donc mise aux enchères.
Se présenta alors, représenté par un homme avisé bien connu dans ce genre de transaction, un paysan à deux fins***, comme on disait naguère de la vache Simenthal, dont on tirait à la fois du bon lait et de la bonne viande. D'une main, il tire de la terre de Peney - et bientôt du bout du coteau de Landecy - des vins bio connus, de l'autre, il est promoteur à Plan-les-Ouates. Utile double métier qui lui permet d'acheter de la terre sans égard à son rendement agricole et d'attendre qu'elle devienne constructible. En l’occurrence, c'est la casquette du promoteur qui fit l'offre: 2,2 millions, si mes informations sont bonnes. On peut je crois retrouver la transaction au registre foncier. La vieille maison, qu'il a fallu libérer d'un héritier l'occupant, a été rénovée et vendue. A un prix qui a sans doute remboursé l'investissement initial. C'est l'art justement du promoteur et du détaillant que de découper les biens, les maisons et les parcelles en morceaux afin d'en tirer des valeurs marchandes.****
Moins de deux lustres plus tard, en 2016, le Grand Conseil a voté la loi 11806 de classement du site en zone 4A de développement. Aussitôt, le promoteur s'est mis au travail et a élaboré un plan localisé de quartier. Le Département du territoire et la commune de Plan-les-Ouates***** le mettent en consultation ces jours et ont diffusé à cette fin aux habitants alentour un dépliant de huit pages intitulé "Arare: les dessous d'un nouveau quartier".
Rien de ce qui précède n'y figure évidemment. Seule garantie, la zone de développement 4B fixe le prix du terrain bâti à 450 fr le m2 de plancher et contrôle les loyers pendant dix ans. C'est court au regard de la durée des études jusqu'à l'arrivée des premiers habitants, mais assez pour ne laisser au promoteur que l'option de planter des barres d'immeubles et proposer des logements chers et exigus (quelle surface pour une chambre à coucher?).
Ce 10 décembre, aura donc lieu - sur inscription jusqu'au 9 décembre à concertation.ge.ch - le début de la concertation publique par une visioconférence. La consultation publique doit durer jusqu'au printemps 2021. A suivre.
(Le plan ci-dessous est tiré du système d'information du territoire genevois ge.ch/sitg)
* La construction en cours d'une troisième voie sur l'autoroute A1, entre Coppet et Bardonnex, ne prévoit pas d'augmenter la capacité de la plate-forme douanière.
NB: Texte légèrement révisé et complété le 19 décembre et le 21 décembre.
* Selon la planification fédérale 2030, le tronçon Perly Coppet doit être élargi à trois voies, mais pas au-delà.
** Un autre legs antérieur d'une habitante de Plan-les-Ouates en faveur de la paroisse de Compesières avait, autant que je me souvienne, décider les responsables à remplacer le chauffage électrique de l'église, qualifié de péché mortel par nos tous puissants SIG. Désormais l'église est chauffée à 13 degrés tout l'hiver. Je ne suis pas sûr que le climat ait beaucoup gagné au change.
*** On notera que les agriculteurs à deux fins sont nombreux et parfaitement cohérents avec la politique agricole suisse qui encourage les paysans, là où c'est possible, à cumuler les activités comme, à leur guise ou leurs moyens, n'importe quel autre entrepreneur. C'est ainsi qu'on trouve des paysans qui sont aussi surveillants des remontes pente ou conducteurs d'une dameuse en hiver ou d'une lame à déneiger, bûcherons, entrepreneurs en travaux pour tiers, producteurs d'énergie (pellettes, biogaz, solaire et éolien), maîtres d'école, infirmiers, administrateurs à temps partiel, hôtes et vendeurs à la ferme, syndics ou députés (le président du Conseil national pour 2021 est un paysan de l'Oberland), etc.
*** Me revient en mémoire, la cession du domaine Comte à La Mure. A l'époque, il y a 30 ou 40 ans, il était en vente pour un millions de francs. Mon père s'était mis sur les rangs - la demeure fut celle de Jules Mabut, un aïeul, maire de Bardonnex et président du Grand Conseil, au début du XXe siècle. Mais c'est un promoteur qui plus tard fit faillite qui emporta l'objet pour 1,1 million. Il vendit rapidement la maison par étage, construisit deux villas dans le jardins où jadis le père Comte produisait des graines de fleurs et de légumes. Ces jours, un des propriétaires de la grande maison vient de vendre son appartement pour plus de 2 millions.
***** Il se trouve que le promoteur d'Arare a depuis 2011 le projet de démolir trois immeubles au cœur de Plan-les-Outes qui séparent la mairie de la route de Saint-Julien pour y construire quelques immeubles neufs. Mais voilà que le projet déplaît à la toute puissante Commission des monuments et des sites qui a trouvé une historienne pour déclarer que ces bâtisses avaient une valeur patrimonaile. Du coup le projet finit devant les juges qui jugent que la CMNS a raison. Le promoteur et la commune sont renvoyés à leurs études. En attendant, les vieilles masures se délabrent. Le 13 octobre dernier, le PDC a demandé qu'on trouve une solution et qu'au besoin on force le promoteur à entretenir l'existent. Pour ma part, je considère que Plan-les-Ouates a su en créant deux grands mails donner une belle allure à son cœur de ville. Et qu'il serait temps de bâtir le long de la route de Saint-Julien des immeubles du XXIe siècle. Parce qu'il faut bien l'avouer en dehors des mails, Plan-les-Ouates est un patchwork architectural assez hideux et décousu.
Commentaires
Bonjour
Très intéressant votre post
Comme quoi au monopoli immobilier les promoteurs gagnent à tous les coups.
Les zones de développement avec leurs imperfections assurent quand même des logements on va dire plus accessibles (sic)
Toutefois tout comme les autres communes ont des exigences lors des plq, Bardonnex serait bien inspiré de demander en mesure compensatoire des mesures très dissuasives sur le trafic pendulaire à CDR
Landecy par exemple
Je n’entends pas la commune sur ce sujet
Ou il y aurait des conflits d’intérêt de certains???
Merci pour vos posts au combien intéressants
Meilleures salutations