Il y a 25 ans, ayant quitté temporairement le journalisme pour la haute fonction publique, j'ai été pendant trois ans adjoint à la Mairie de Bardonnex. La maire d'alors, Marie-Louise Barthassat, avait un souci: bâtir une nouvelle école. La commune avait acheté dans ce but la ferme Garin et le verger attenant pour quelque 2 millions de francs si ma mémoire est bonne.
Deux raisons rendaient ce projet urgent. L'exiguïté des classes de l'école plantée là en 1900 qui n'atteignaient pas la norme des 80 m2 et le souhait ou la nécessité d'ajouter quelques classes pour répondre à la croissance de la population, permettant de supprimer un pavillon scolaire provisoire mais toujours utilisé aujourd'hui pour y accueillir les activités parascolaires.
La revanche du Kulturkampf
L'école de 1900 érigée à Compesières est un pur produit de l'architecte Camoletti, qui en a construit plusieurs en ville de Genève. Jouxtant le château, symbole du pouvoir civil et militaire, l'église, symbole du pouvoir divin et clérical, et la ferme, symbole de l'exploitation de la nature, le nouveau bâtiment scolaire semblait affirmer jusque dans son architecture le primat de l'école républicaine, celle des lumières et de la connaissance salvatrice, contre l'obscurantisme d'une commune qui avait tenu tête au pouvoir radical, lors du Kulturkampf. Un épisode fameux, à Compesières même, avait défrayé la chronique de cette lutte de culture, en 1875, une génération plus tôt, le baptême de l'enfant Maurice.
Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous. Un siècle plus tard d'autres Kulturkampf sont menés: pour ou contre l'islam, pour ou contre le communisme d'Etat, pour ou contre la dictature patriarcale de l'hétérosexualité, pour ou contre le relativisme...
Le Baptême à la baïonnette
Le baptême de l'enfant Maurice vaut d'être conté. On en trouve la recension dans les ouvrages historiques d'un ancien maire de Bardonnex, Jacques Delétraz, et, plus critiques à l'encontre des émeutiers, dans le Journal de Genève du 21 janvier 1875 notamment, dont les archives sont entièrement disponibles en ligne.
Maurice était de Carouge. Le père voulait laver son enfant nouveau-né du péché originel, comme il est de tradition dans la religion chrétienne, par un prêtre catholique libéral ou national, salarié de l'Etat, qui avait prêté serment d'allégeance à la République radicale, tandis que les clercs restés fidèles à Rome s'y refusaient (d'où entre autres la distinction catholique chrétien et catholique romain). Les églises et l'Etat n'étaient alors pas séparés et il y avait donc, comme dans le canton de Vaud aujourd'hui encore, un conseiller d'Etat chargé de la gestion des cultes, des curés et des pasteurs. Il faut dire que l'église avait jeté de l'huile sur le feu en décrétant cinq ans plus tôt, durant le concile Vatican I, le dogme de l’infaillibilité (lire aussi ici et là).
Devant le refus des autorités municipales de Bardonnex de donner la clef de l'église de Compesières au prêtre catholique chrétien, le maire, alors nommé par le Conseil d'Etat, fut destitué. Rien n'y fit. Son successeur soutenu par son conseil municipal refusa aussi. Il fallut pour sauver l'honneur de la République genevoise, bafouée par les rebelles de Bardonnex, faire monter la troupe et percer le mur de l'église pour officier le baptême. L'événement est connu sous le nom de baptême à la baïonnette.
Bien baïonnette, l'arme affûtée, pas Bayenet, du nom de cet habitant Charrot, qui a loué une chambre en ville de Genève pour briguer la succession de son camarade de parti Rémy Pagani à la maire de Genève. Étrange renversement de l'histoire qui voit un ci-devant citoyen de Bardonnex vouloir faire la loi dans la "Rome protestante" (ou ce qu'il en reste de protestant).
En représailles de cette désobéissance civile, le régime Carteret fit fermer l'église de Compesières en 1878, ainsi que d'autres dans le canton, jusqu'en 1893. Ce qui conduisit les catholiques du cru, alors très majoritairement fidèles à Rome dans cette ancienne commune savoyarde, rattachée à la Rome protestante en 1816, à bâtir une chapelle de secours. Elle fut construite sur un terrain agricole de la famille du cardinal Mermillod originaire de Carouge, à trois cents mètres de Compesières, en direction de Bardonnex.
Noël à la chapelle de Compesières
Après le retour au calme religieux, peu avant la fin du XIXe siècle, et la séparation à Genève des églises et de l'Etat en 1907, la chapelle servit longtemps de salle communale. On y donna des pièces de théâtre. A l'époque, la chorale de Compesières qui, jusqu'au début des années 1950, englobait l'actuelle paroisse de Plan-les-Ouates, avait une section littéraire. A Noël, les enfants de l'école laïque présentaient jouaient, en toute innocence et sans susciter la moindre querelle, la naissance de l'enfant Jésus... J'en fut un des derniers acteurs. Mais pas l'ange dans nos campagnes.
C'est à cet emplacement que fut érigée vers 1975 l'actuelle salle communale de Compesières. L'architecte Malnati avait imaginé une construction originale, sur un plan hexagonal ou octogonal. La commission cantonale des sites refusa cet audacieux projet et imposa un bâtiment plus simple avec un toit à deux pans plus proche du style paysan. Il faut s'en souvenir. Car c'est la même raison, mais inverse, qui mobilisa la clique des architectes modernistes 20 ans plus tard, en 1997, à s'opposer au projet de nouvel école: le projet vainqueur du concours d'architectes d'alors avait pourtant été validé par un architecte de renommée mondiale, qui, la même année, était fait docteur honoris causa de l'Université de Genève, l'italien Giancarlo de Carlo (et ici), dont l'oeuvre magistrale, un projet pour Urbino, la ville où il a enseigné, est aujourd'hui exposée au musée Beaubourg à Paris...
La nouvelle nouvelle école de Compesières
C'est donc sur ce terrain de la chapelle de la persécution, qui appartient désormais à la commune de Bardonnex depuis le 31 octobre 2019, suite à un désenchevêtrement long et laborieux des biens paroissiaux et des biens communaux à Compesières, que le maire actuel, Alain Walder, et future, Béatrice Guex-Crosier, veulent construire une nouvelle école.
Elle sera en bois - tous les programmes des trois partis en lice le 15 mars prochain le promettent - chauffée au bois et pas faite pour des Pinocchio de bois. Y seront enseignées les vérités scientifiques sans langue de bois, qu'il faut croire aussi fermement que, naguère, la résurrection des corps.
Quant à la ferme de Compesières, le PDC et Entente communale n'en dit mot, le Parti libéral radical dit que ce n'est pas une urgence et donc que cette ruine peut le rester encore des lustres et Bardonnex Alternative tel le phénix sauvé des flammes (de l'enfer climatique) veut en faire une ferme pédagogique, histoire de perpétuer le mythe du paradis terrestre, où le loup couchera avec l'agneau et les humains en tout genre, devenus vegans et chamans, auront cessé de pulluler et donc de polluer Gaia.
A suivre: Refaire la commune de Compesières, voire plus si affinité