La Suisse, pays multilingue. La Suisse, modèle de concorde civile, dont nous sommes fiers et que nous exportons volontiers. La réalité est évidemment tout autre. Certes la paix règne depuis la dernière guerre civile du Sonderbund. Et nous sommes loin du syndrome de la Belgique qui va tantôt passer son trois centièmes jours sans gouvernement, victime d'un conflit linguistique qui oppose Flamands et Wallons.
Rien de tel dans les Alpes. La cohésion de la Suisse tient cependant moins au plurilinguisme de ses habitants qu'à l'coexistence choisie de vint-cinq microrépubliques indépendantes. Dans ces laboratoires démocratiques éclosent les fleurs du génie helvétique qui participent moins de l'art du compromis que de celui de l'ajustage continu et du respect des minorités.
[Actualisé à 16h]
Aucune de ces républiques, même pas le grand Zurich - un Suisse sur sept est zurichois- ne peut prétendre dicter sa politique à l'Etat suisse. La Suisse alémanique, comme la Suisse latine, est un patchwork de dimension, de culture, d'histoire, de religion. La langue allemande domine largement le paysage linguistique national. Ne craignant pas d'être détronée, la reine langue peut être magnanime et octroyer aux minorités plus que leur part. C'est patent dans le partage du budget de la SSR. La reine est modeste, ce qui est la vertu du pouvoir, d'autant qu'elle se sait elle-même essentiellement composite et dialectale.
Cette petite réflexion m'est inspirée ce matin par la lecture de Politblog.
Politblog - j'en ai déjà parlé dans un billet récent - c'est une de ses récurrentes tentatives de faire dialoguer les Suisses par dessus la Sarine. Cette louable et citoyenne initiative est lancée par quatre des plus grands journaux du pays dont la Tribune de Genève en marge des élections nationales du 23 octobre prochain.
Ce matin mon confrère Matthias Chapman, reporter au newsnetz - ce qui fait qu'on ne sait plus à quel canton il appartient - revient sur un de ses petits psyschodrames linguistiques qui de temps en temps secouent la Berne fédérale.
"L’incident, raconte-t-il, s’est déroulé au cours de la session de printemps lors du débat au Conseil national sur l’acquisition de nouveaux avions de combats. Bruno Zuppinger et Pius Segmüller présentaient l’objet devant la chambre du peuple au nom de la commission préparatoire. Pius Segmüller, un Lucernois pure souche, faisait office de rapporteur francophone, mais ne s’est exprimé qu’en allemand. Bien que anodine, l’affaire a eu des conséquences…" note mon confrère qui pose la question: "Les Romands et les Alémaniques s'entendent-ils vraiment?"
Telle n'est pas la question. Car il ne s'agit pas en l'occurrence de se demander si les Romands entendent l'allemand du rapporteur francophone, il s'agit uniquement du respect que l'on doit à toute minorité. Un rapporteur francophone doit évidemment s'exprimer en français.
La question est donc pourquoi le rapporteur francophone lucernois ne s'est-il pas exprimé en français? La réponse est sans doute toute simple: parce qu'il pratique pas suffisamment la langue de Molière.
Car il en va des langues comme du piano, de la course à pied ou de la peinture sur bois, si vous ne pratiquez pas ces arts régulièrement, vous en perdez l'usage. Quatre ans d'animation de la plate-forme des blogs de la Tribune m'ont démontré une chose: beaucoup d'adolescents pleins d'idéaux, de verves et de discours se taisent l'âge venant et finissent par ne plus même savoir écrire correctement ni même forger un argument.
Pour sortir de ce cercle vicieux et entrer dans le cercle vertueux de cette Suisse multilingue mythique, il faut une raison impérieuse, un intérêt ou un goût particulier ou encore une discipline de fer. Je mets de côté les doués et les passionnés - il y en a dans tous les domaines - et ceux qui sont nés dans des familles bilingues - nombreux à Genève dans toutes les langues dont notre première langue nationale.
Bref nécessité fait loi. Conclusion... Longue vie tout de même à Politblog! "Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer" n'est-ce pas!
A 16h, je reclique sur Politblog: 119 commentaires. Pas mal en quelques heures. Essentiellement rédigés en allemands.
J'en extrais deux
Markus Burri dit : 30 mars 2011 à 11:18
Also, mein Schulfranzösisch reicht um diese einfache Aussage zu verstehen. Das Problem (z.B. im Parlament) beginnt mit den Fachausdrücken. Aber: wo ein Wille ist, ist auch ein Weg.
Raphaël Mahaim, député vert à Lausanne, un des rares Romands désormais présents dans Politblog, dit : 30 mars 2011 à 10:31
Ce constat quelque peu décevant de l'absence de « Miteinander » entre Romands et Alémaniques se reflète à merveille dans ce blog. Non seulement les Romands ont été très timides jusque là mais il est aussi frappant de voir à quel point il y a deux cultures politiques différentes, deux langages différents. Le problème ne se résoudra pas demain... Peut-être faudrait-il commencer par encourager de manière beaucoup plus active l'apprentissage de la langue parlée de l'autre côté de la Sarine. Avec l'Anglais comme langue « refuge », on n'en prend actuellement pas la direction.
Commentaires
Il n'y a qu'en Valais où le bilinguisme fonctionne correctement au Grand Conseil, au sein du gouvernement et parmi la population.
Difficile de dire si la Suisse est un pays du dialogue rose afin d'apaiser les choses...
un bien beau pay