Cette fin janvier ne fera sans doute pas date dans l'histoire genevoise. Pourtant ça bouge dans les partis politiques du bout du lac.
Les jeunes radicaux et libéraux ont fêté leur mariage vendredi soir. Le parti socialiste a tenté hier une nième fois de se refonder et d'éviter le syndrome du radicalisme fonctionnarisé *. La gauche combative, altermondialiste & autres courants, exclue du Grand Conseil faute d'unité, cherche... La Gauche.
A droite, le MCG populiste survivra-t-il à Stauffer et l'UDC genevoise à Blocher? La fusion libérale radicale, déja consommée au niveau fédéral, et annoncée pour 2010 à Genève parviendra-t-elle à capter durablement les votes de cet électorat nostalgique? Rien n'est moins sûr.
Au centre, il n'y a plus personne **. Le pas de deux Hodgers Maudet a fait long feu. L'ancien parti indépendant chrétien social, devenu PDC, est sociologiquement conservateur, nonobstant quelques étincelles de la politique sociale et humaniste de l'église catholique, laquelle traverse une glaciation germano-bénédictine. Et que peut la doctrine sociale de l'église - qui la connaît d'ailleurs encore au PDC? - face à l'émergence de la Chine, du Brésil, de l'Inde dans le concert des grandes puissances? Demandez aux Ouïgours, ils ont déjà tâté de la réponse.
ça bouge pourtant, ... mais ça tourne en rond. Post tenebras...
ça bouge encore serait-on tenté de dire, car les politiques font en fait du surplace, surtout en Suisse, coincés qu'ils sont entre les forces gigantesques des entreprises a-nationales, qui imposent leurs lois partout dans le monde, et la sclérose démocratique grave qui atteint le corps électoral, dont sont exclus tous les migrants - 40% de la population à Genève - mais aussi les frontaliers. Tout bien compté, à Genève, plus d'un travailleur sur deux est privé de droit de vote... La majorité de la Constituante n'en a cure qui s'apprête à refuser d'étendre les droits de vote et d'éligibilité.
ça bouge encore, car les enjeux de pouvoir ne sont pas mince. Rien qu'à Genève, le canton dépense plus de sept milliards de francs par année. De quoi attiser les convoitises. La politique, comme répartition de la manne publique, ça n'est pas très mobilisateur, mais il faut bien que la machine tourne.
Le peuple qui a le dernier mot, le peuple qui a toujours raison craint de renforcer l'Etat. Il ne sait ni revitaliser le féralisme suisse ni réinventer les communes et encore moins trouver dans l'Europe une issue à la hauteur des défis que la société affronte: dont le principal est, à Genève, le vieillissement de la population et son corollaire: le repli sur soi, le après moi le déluge.
Certes les Verts ont plus ou moins réussi, dans la dernière moitié du XXe siècle, à se faire une place au soleil. Plus souvent dans les villes où l'herbe est rare que dans les campagnes ou la terre est dure. Ils sont même devenus au détour de l'élection de cet automne le premier parti de la gauche représentée au Parlement genevois, une gauche bobo qui ne fait pas peur aux nantis, sinon dans sa propension entropique au principe de précaution et son désir plus ou moins avoué de décroissance. Une gauche plus préoccupée de sa quiétude urbaine - deux cents rues piétonnes - que d'actionner les clés d'un développement durable offrant à tous un emploi rémunérateur.
Pour le reste de l'échiquier politique, les partis du XIXe siècles sont toujours aux commandes suivant le bon vieux et éternel clivage entre ceux qui possèdent le capital et ceux qui ne possèdent que leur bras ou leur tête pour gagner leur vie et celle de leur famille. Des familles de plus en plus multiformes, décomposées, recomposées, mono, bi-, tri- ou même multi-parentales quand les grands parents ou les tuteurs d'occasion viennent bon gré mal gré à se substituer aux géniteurs ou à devoir les soutenir. Sans parler des humains vivants de plus en plus seuls. Célibataires par choix ou par force, veufs et veuves au crépuscule de la vie.
Une société disloquée. C'est peut-être bien ce changement là qui brouille le plus les cartes de la politique.
D'une part un monde dont les frontières ont explosé. De l'autre des frontières politiques qui n'ont pas bougé depuis deux siècles.
Les frontières réelles, celles de la vie quotidienne, disparaissent à cause de la technologie. Le train, la voiture, sans parler de l'avion - qui fait toujours rêver à voir l'engouement cette semaine pour l'A 380 - ont progressivement étendu notre horizon. Il fallait un jour ou presque au XIXe siècle pour aller de Genève à Lausanne. Aujourd'hui, on va au bout du monde dans le même temps. Depuis peu, on n'a même plus besoin de se déplacer pour être dans le monde.
On n'a pas encore mesuré l'effet sur le sentiment d'appartenance des nouveaux modes de travail, de la bilocalisation des Genevois - propriétaires en Valais, en France voisine ou ailleurs et locataires dans le canton - des nouveaux modes des socialisations virtuelles (Facebook).
La réflexion pourrait se poursuivre et s'allonger. Ce n'est pas la raison d'être d'un billet de blog qui devrait être court (c'est raté). Mais cet embryon de réflexion dominicale est la mesure de ma déception des propositions qui commencent à tomber de la Constituante. Mes attentes de cette noble assemblée étaient sans doute trop grandes. L'utopie n'est pas au rendez-vous. La realpolitk l'emporte et tous ceux qui disent qu'une république ne se réforme que sous la pression des événements ont sans doute raison.
* Pascal Holenweg, socialiste canal historique, qui préfère la grasse matinée et la manif de l'après-midi au conclave rénovateur, le dit ainsi dans un billet paru dans son blog Cause toujours samedi matin: "Le Parti socialiste genevois n'est pas à rénover, à reconstruire, à repenser, à réorganiser ou à recomposer, mais à réinventer. Radicalement, et totalement. Il n'a guère le choix : il doit se réinventer, ou se résigner à se dissoudre, lentement mais sûrement, comme le glorieux parti radical du XIXème siècle s'est dissout en tant que parti politique (c'est-à-dire d'organisation porteuse d'un projet politique) pour se résumer et se résorber en un appareil électoral doublé d'un office de placement."
** La réaction de ce soir des Jeunes démocrates-chrétiens genevois à la fusion radicale libérale semble démontrer que le Centre bouge encore. personnellement ça me réconforte. On lira donc la longue analyse de la création de cette UMP romande sous la plume de Maxence Carron. Les premières lignes sont revigorantes: “En l’an de grâce 2010, dans un immeuble très modeste de la Rive gauche de Genève, est né le mouvement des jeunes libéraux-radicaux genevois. Alléluia! Il est accueilli comme le Messie par tous ces jeunes bobos qui étaient fatigués d’ouvrir les poussiéreux livres d’histoire de grand-papa pour pouvoir distinguer le radicalisme du libéralisme. Enfin une UMP suisse qui rassemble tous ceux qui sont pour l’économie et contre les méchants Rapetous de gauche! Sus aux vieux croulants qui rechignent à s’unir pour des querelles doctrinales dépassées! Ah! Qu’il est bon et simple maintenant d’être jeune et de droite!” Ce fabuleux engouement pour la fusion des jeunes libéraux-radicaux laisse les JDC sceptiques mais joyeux. Loin d’être un apport pour les deux partis concernés, elle est une aberration et en même temps une chance inespérée pour la démocratie chrétienne. Cette fusion est absurde du fait des différences historiques et doctrinales fondamentales des deux mouvements.
Commentaires
Un texte intéressant, plein de sujets de réflexion...
Bonjour,
Je partage une très grande partie de vos réfléxions, j'allais dire malheureusement, car elles ne semblent pas très optimistes.
Vous finissez votre billet - un peu désabusé - sur les travaux de la Constituante. Vos craintes sont aussi les miennes. Je ne sais évidemment pas ce qui va sortir des travaux, mais à voir la crispation des uns et des autres, l'absence de vision politique sinon celle des partis engoncés dans des schémas dépassés et la "bonne vieille" bataille partisane ne présagent rien de bon.
On n'arrête pas de parler de région, de mobilité, de transport et la Constituante n'a pas le courage de se prononcer clairement sur le vote des non-Suisses (Appelation que je préfère à celle d'étrangers car il y a tellement de Suisses qui sont complètement étrangers à ce qui se passe chez eux). Avec un peu d'imagination, je peux imaginer que tout le reste sera à l'avenant, c'est-à-dire sans créativité, sans audace et dépourvu de tout esprit novateur.
J'étais très partisan d'élire une Constituante. Je ne suis cependant pas prêt à voter n'importe quel texte étriqué et poussiéreux. Si la version finale proposée ne nous projette pas pleinement et audacieusement dans l'avenir, je la refuserai.
Une constitution est un texte fondateur ou refondateur. Et j'ai bien peur que les Constituants soient - comme on l'est presque toujours à Genève - d'accord sur rien, sauf à constater leur désaccord.
O tempora, o mores.
Petite rectification, à mon sens : le peuple a toujours le denier mot, mais il n'a pas forcément raison. Seul l'avenir permet de juger de la qualité d'une décision populaire.
Pour le reste, auteur du blog et correspondant ont entièrement raison. J'ai voté contre l'institution d'une Constituante, car je n'avais aucune confiance dans la capacité des candidats à transformer les institutions; j'étais et je reste persuadé qu'il est plus important de modifier les pratiques ou de rajeunir le personnel politique plutôt que de transformer une Constitution. En outre, je doute fort que les Constituants parviennent à élaborer un texte novateur et des institutions réellement modernes, qui tiennent compte effectivement de la profonde transformation en cours et à venir du bassin genevois.
Cette intéressante réflexion reflète bien le désarroi d'un pays et d'un canton dont les "élites politiques" n'ont pas encore pris la mesure des bouleversements intervenus dans notre environnement économique, social et géopolitique depuis deux décennies. Des bouleversements qui chahutent nos institutions autant que nos croyances mais que les intéressé ne veulent pas voir, trop préoccupés qu'ils sont, comme à la grande époque morte de la "concordance", à se répartir les fruits du pouvoir.
Et comme le monde des médias, à quelques exceptions près, n'a plus le temps ni l'ambition de s'engager dans le débat réformateur et qu'il se contente de servir la soupe électorale aux élus ...
Les craintes et le pessimisme exprimés par M.Mabut sont partagés par nombres
de genevoises et genevois. C'est leurs droit - et typiquement genevois.
Il y a bientôt 50 ans, venant d'Argovie comme "immigré confédéré", j'ai été confronté à cette spécificité genevoise de douter de choses qui en tant que choses n'existent pas encore.
Et ceci n'a pas changé.
Toute décision à Genève doit apparemment naître dans la douleur, entouré de contestations pessimiste et de discussions stériles. Il manque une vision entrepreneuriale optimiste prête à aller de l'avant, à prendre de risques, à faire exploser ce qui nous limite. Seul le regard tourné vers l'avenir nous évitera de sombrer dans la grisaille.
Ludwig Muller Constituant
Comme le dit le metteur en film français Philippe Souaille, grand thuriféraire du MoDem , hagiographe auto-proclamé de N. Sarkozi et aspirateur émerite de subventions en tous genre, il faudrait se projeter dans l'avenir. En fait Souaille incarne l'avenir, c'est l'homme du renouveau, le prophète hardi qui trace la route sur ses semelles ailées. Notre Mercure, notre messager qui confie ses pensée à tous les séphirs.