Pénétrer dans les salons du Palais de l'Athénée, juste à côté de la Mairie de Genève, c'est pénétrer dans l'histoire de Genève. Hier soir, la passe d'armes verbale qui a opposé le député socialiste Roger Deneys au président du parti libéral Michel Halpérin sur le thème "Vouloir payer moins d'impôt, est-ce moral?" a eu lieu dans le grand salon tiré d'un tissu pourpre rehaussé de portraits d'illustres genevois, où fut signé l'acte de fondation de la Croix-Rouge.
La joute verbale était organisée par la classe de l'industrie de la Société des arts. Elle n'a pas fait couler le sang, même si le ton était vif et les propos parfois mordants. Roger Deneys n'hésite pas à qualifier un grand industriel de délinquant fiscal lorsque celui-ci décide après avoir vendu son entreprise de s'installer à Gstaad, villégiature où la fiscalité est plus douce. La concurrence fiscale que se livrent les communes et les cantons est-elle morale, s'interroge ce patron d'une PME membre de l'association des patrons progressistes?
Michel Halpérin s'insurge. "Dites-moi où commence la justice fiscal, à quel taux?" Et l'avocat de brosser à grands traits l'histoire de l'impôt. Au début, c'est par la rapine et le butin de guerre que le prince remplissait ses caisses. Vient le temps des fermiers généraux, puis celui de l'impôt proportionnel et enfin de l'impôt progressif. "L'argent est au bout du fusil", clame l'avocat qui tempère un peu plus tard ses propos en jurant qu'il n'est pas contre l'Etat social moderne.
Il n'y a pas lieu de se demander si l'impôt est moral ou pas, poursuit l'avocat en substance. L'impôt est défini par la loi, laquelle est votée par une assemblée démocratique. L'Etat de droit est fondé sur l'idée que la loi définit le bien commun.
"Lorsque le peuple baisse les impôts. il n'est pas moins moral que lorsqu'il accepte de les augmenter", lance Michel Halpérin à Roger Deneys qui estime que "la baisse d'impôt n'est pas acceptable tant qu'il y a des pauvres dans la cité et des gens qui meurent de faim sur terre". Le socialiste dénonce cet esprit libéral qui envahit la société et transforme le citoyen en un consommateur d'Etat. On en veut pour notre argent. On oublie la solidarité.
A la question de savoir si la concurrence fiscale est morale? Le libéral répond à la stupéfaction du socialiste: "S 'évader d'une prison n'est pas une infraction en droit suisse, c'est un peu le même principe qui s'applique à l'évasion fiscale."
Pas du tout, elle est parfaitement morale, continue Michel Halpérin: "Un Etat, comme une entreprise, doit s'adapter à son environnement."
Mercredi, le Conseil des Etats a refusé par 26 voix contre 12 d'accorder aux autorités fiscales des cantons suisses les mêmes droits que ceux que la Confédération a accordés aux fiscs étrangers à propos de l'évasion fiscale, s'il n'est pas amoral de vouloir baisser les impôts par la voie parlementaire, n'est pas amorale de cherche à y échapper à titre individuel?
Pour le socialiste Deneys, la réponse est évidente. L'évasion fiscale est une fraude contre la société, elle doit être sanctionnée. Lorsqu'un riche dispose de dix millions de revenu, l'imposer à 90% lui laisse encore un million pour vivre.
Pour le libéral Halpérin, la Suisse, sous la pression internationale, a cédé des droits de regard excessifs aux autorités fiscales étrangères. La conception suisse qui fait la distinction entre l'oubli et la production de faux pour échapper au fisc est tout à fait acceptable. Voulez-vous emprisonner la serveuse de bistrot qui ne déclare pas l'intégralité des pourboires ou cet homme qui tond le gazon d'une personne âgée voisine? Je connaiss des situations où 120% des revenus sont prélevés par le fisc.
L'idée d'une amnistie fiscale qui revient régulièrement dans l'actualité n'est-elle pas la preuve que la moralité fiscale n'est plus ce qu'elle était?
Deneys comme Halpérin n'est pas enthousiasmé par ce projet. L'un parce qu'il blanchit des fraudeurs qu'il faut poursuivre, l'autre parce qu'il n'y en aurait pas tant que ça. "D'ailleurs le peu d'avidité des autorités fiscales est le meilleur garant de la morale citoyenne", tranche Michel Halpérin. Mais nous sommes sans doute d'accord sur le principe d'une telle mesure.
Il se fait tard. Les deux débataires échappent au débat.
Roger Deneys n'entre pas volontiers sur le terrain de l'efficacité de l'Etat. Il est convaincu que moins d'impôt, c'est moins d'Etat, moins de solidarité. Et de donner un exemple saisissant: la baisse d'impôt de 500 millions que se sont votés les Genevois en septembre c'est le prix du CEVA en trois ans.
Michel Halpérin fait semblant d'ignorer que les pauvres exitent et s'insurge contre cette tendance qui fait que l'on attend tout de l'Etat. C'est aux parents d'être responsables de leurs enfants et de subvenir à leurs besoins et même aux besoins de leurs prorpres parents âgés.
Un propos qui fait bondir le socialiste. La classe moyenne ne parvient pas nouer les deux bouts. Nous étions d'accord de baisser les recettes fiscales de 200 millions pour alléger la charge des familles. Mais nous avons refusé le cadeau fait aux plus riches.
PS: grand merci aux sept internautes qui ont bien voulu commenté mon billet précédent. Vos contributions me sont précieuses, même si elles sont rédigées sous le sceau de l'anonymat. J'invite tous les lecteurs de ce billet à en prendre connaissance