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Juifs et noirs, continents premiers

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Bernard-Henri Lévi était le 15 mai à Jérusalem sur la tribune d’honneur pour commémorer les 60 ans de l’Etat d’Israël. Il revient sur cet événement dans sa chronique hebdomadaire qu'il publie dans Le Point de cette semaine. Son propos cascade comme un torrent d’eau claire. Mais cette eau, à la réflexion, n’est pas si limpide.

L’intellectuel français y répète son credo: deux Etats vivant en paix côte à côte. Un credo ? Une pure fiction aujourd’hui, tant la Cisjordanie, prise en tenaille, est mitée par des colonies juives, qu’aucun gouvernement israélien ne pourra démanteler, ni abandonner à la juridiction d’un Etat tiers.

Le véritable message de paix serait d’inventer patiemment dans ce creuset des mondes, et pas seulement en Israël, mais aussi au Liban, en Turquie, en Irak, des Confédérations ou des Unions économiques à vocation fédérale de régions souveraines (cantons, Länder, Etats, qu’importe leur nom), égaux et droit et en dignité. Comment vivre en paix à l’ombre d’un mur ?

Lévi nous sert ensuite son plat de résistance: le «message positif, les valeurs, l’expérience politique, morale, spirituelle, que l’Etat des juifs - et les juifs - ont à transmettre au monde d’aujourd’hui».

L’Etat juif - et les juifs - Cette juxtaposition est bien discutable, comme si le sort des juifs dépendait d’un Etat juif et réciproquement. Cette géolocalisation des religions n’est-elle pas une vision archaïque inappropriée dans un monde désormais confronté à des défis communs? Jérusalem n’est-elle inscrite au patrimoine de l’humanité? La ville trois fois sainte devrait être une ville libre sans appropriation nationale.

Lévi poursuit son plaidoyer et veut démontrer l’exemplarité politique, morale et spirituelle d’Israël. Exemplaire Israël? Où est aujourd’hui l’idéal sioniste, socialiste et laïc? Les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent.

Certes Israël accueille les juifs du monde entier, mais cela n’en fait pas pour autant un modèle d’intégration, «dont feraient bien de s’inspirer nombre de puissantes nations confrontées à la même impossible équation-France et Etats-Unis compris.» Certes Israël a fait reverdir le désert, mais nombre des premiers colons étaient des gens formés, encore soutenus par les communautés solidaires restées en diaspora. 

La Shoah est devenue le référentiel incontournable, évidemment indépassable, de la condition de victime. Lévi cite le président bosniaque: «Ne nous laissez pas devenir le prochain ghetto de Varsovie.» Et les Tutsis: «Nous sommes les juifs de l’Afrique.» Et encore les habitants du Darfour: «Ce qui nous terrifie et qui, en même temps, nous donne espoir, c’est le souvenir, certes, de la Shoah, mais c’est aussi la façon dont le peuple juif a pu surmonter l’épreuve.» Israël doit-il sont existence à la Shoah? Et son avenir? Qui ou quoi l’assurera?

Cette chronique m’intrigue. Sa fin me choque.

Me revient en écho la substance des propos entendus vendredi soir à Genève, au club suisse de la presse: l’esclavage, la colonisation sont notre Shoah. Nous devons mieux communiquer pour que le monde reconnaisse notre calvaire et nous rende notre dignité. Le discours réel est plus diplomatique. Mon  raccourci un peu rapide, mais il reflète assez bien, je crois, le ressenti des quelques Africains établis à Genève présents au débat marquant, vendredi, le cinquième anniversaire de continentpremier, premier journal en ligne publié à Genève. En somme, juifs et noirs, mêmes souffrances, mêmes combats et mêmes réparations exigées du monde occidental.

En témoigne la question posée à une dizaine de personnes par Gorgui Ndoyé, créateur et directeur de continentpremier: «Y a-t-il un complot des médias occidentaux contre l’Afrique?» Presque cinquante ans après la décolonisation, la question est toujours d’actualité. Le sera-t-elle éternellement comme la quête errante du peuple juif?

Les journalistes présents ont répondu non, expliquant que l’Afrique est surtout victime de clichés récurrents (que quelques présidents dictateurs s’appliquent à conforter) et du zapping du public qui impose aux rédactions la brièveté et la sélection de sujets de proximité jugés plus vendeurs. Et que si la politique reste à la traîne, les sportifs et les artistes donnent ses lettres de noblesse à l'Afrique.

Les Africains, très majoritaires vendredi à la villa La Pastorale, pensent que oui. Les ultras dénoncent le complot, amalgamant sans nuance les médias aux pouvoirs dominants. Les modérés, à l’exemple de l’ambassadeur Babacar Ba, représentant à Genève de l’Organisation de la conférence islamique, mettent le déficit d’image de l’Afrique au compte de la mésinformation de la presse. Une formule commode qui ne laisse rien présager de bon quant à la nature de l'information que les journalistes devraient rapporter.

Daniel Wermus, dont l’agence de presse Info-Sud va depuis un quart de siècle à contre-courant de l’information dominante, renvoie tout le monde dos à dos. S’agissant de l’Afrique, la presse pécherait tantôt par omission, quand, soucieuse de ne pas alourdir le tableau, elle tait les crimes et les spoliations, tantôt par angélisme, quand elle chante les vertus du développement et parfois celles du bon sauvage.

Commentaires

  • Les pires exactions commises dans ce continent sont toujours "excusées" par l'opinion dominante politiquement correcte. A qui profite le crime, on peut se demander quand on voit les budgets alloués dans le cadre coopération, équivalents aux sommes utilisées aux guerres intestines, sans que des projets de développement soient réalisés!

    Au nom du mythe rousseauiste du bon sauvage, de la gaîté naturelle, notre civilisation fait le dos rond alors qu'on ne doit rien à personne. Pourquoi?Précisons que ce qu'on donne parfois est transformé en merde.

    N'est-ce pas dégueulasse pour nous et pour les populations locales?

    Merci à M. Mabut de poufendre quelques préjugés bien formatés!

  • Merci pour cette intéressante réflexion. J'avais lu ce week-end l'article dans les dernières pages du Point, et j'ai ressenti une impression identique à la vôtre. Vous dites : "L’Etat juif - et les juifs - Cette juxtaposition est bien discutable, comme si le sort des juifs dépendait d’un Etat juif et réciproquement. Cette géolocalisation des religions n’est-elle pas une vision archaïque inappropriée dans un monde désormais confronté à des défis communs? Jérusalem n’est-elle inscrite au patrimoine de l’humanité? La ville trois fois sainte devrait être une ville libre sans appropriation nationale."
    Là est le noeud du problème. La fondation de l'Etat d'Israël repose sur des critères qui ne seraient reconnus comme légitimes nulle part ailleurs. Et ce n'est pas son seul privilège...

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