Mon billet "Les Genevois paient trop d'impôts? Faux!" contestant la conclusion principale de l'étude publiée cette semaine par la Chambre de commerce et de l'industrie de Genève suscite de vives réactions et me vaut quelques commentaires.
Je cite ci-dessous celui que M. Yves Cogne a posté ce samedi matin à 1h10, d'une part parce que cet internaute a l'amabilité de signer son billet, d'autre part parce qu'il est un des auteurs de l'étude de la CCIG et que son commentaire mérite donc d'être lu et discuté. Je me suis permis de répondre à son commentaire. Mes annotations sont en vert.
Monsieur Mabut,
J'ai lu avec intérêt vos différents commentaires sur ce sujet, ce d'autant plus que j'ai participé à l'élaboration de cette brochure.
A la lecture de vos propos, je constate que, en fait vous parlez d'une étude que vous n'avez pas lue.
En effet, en la lisant, vous auriez dit: "Genève est même champion suisse pour les couples mariés sans enfant dont le revenu brut du travail est inférieur à 66'000 francs par année" et non pas 50'000 francs. En effet, à Genève, un couple marié avec deux enfants ne commence à contribuer à la collectivité, qu'à partir d'un revenu brut de 66'000 francs. C'est dire si vos comparaisons basées sur un revenu de 50'000 francs sont peu pertinentes! Dommage pour un journaliste!
Comme journaliste j’ai cherché une autre source que celle de la CCIG. J’ai rapidement trouvé la dernière publication de l’Administration fiscale fédérale que je cite dans mon billet. Malheureusement ou heureusement (trop de chiffres tuent l’info) l’AFF ne donne la charge fiscale que pour deux tranches de revenu 50 et 100'000. Je vous remercie de préciser ce point et de constater qu’en effet ce n’est qu’à partir d’un revenu brut de 66'000 francs qu’une famille avec deux enfants commence à être un contribuable à Genève. Encore un effort et vous nous direz dans un prochain commentaire à partir de quel revenu cette famille paiera davantage que les Vaudois ou les Zurichois ou les Balois canton qui ressemble plus à Genève que les deux précités.
La lecture de la récente (août 2007) publication de l'office cantonal de la statistique (http://www.geneve.ch/statistique/publications/pdf/2007/analyses/an-cs-2007-33.pdf) vous aurait permis de constater que le revenu brut médian des couples mariés actifs avec enfants s'établit à un peu plus de 130'000 francs, L'étude de la Chambre de Commerce ne nie cependant pas les difficultés financières des plus modestes de nos concitoyens. Elle démontre simplement que les prestations dont ils disposent dépendent des contributions des plus aisés et que, dans l'éventualité où ils ne seraient plus là pour contribuer, il faudrait bien trouver l'argent ailleurs...
Cela étant, je répondrai comme suit à vos 4 points:
1) La recette moyenne par habitant révèle en partie la richesse de Genève. Effectivement, nos contribuables sont probablement plus aisés que la moyenne suisse. Il est cependant regrettable que cela ne se voit pas dans nos comptes publics. Comment expliquez-vous notre endettement (39'911 francs par habitant, enfants compris)
Genève en terme de PNB par habitant est le troisième ou quatrième canton suisse, il en découle forcément que la force contributive n’est pas probablement mais sûrement plus élevée qu’en moyenne suisse. Cela dit l’endettement n’est pas un indicateur de pauvreté. Il peut être un indicateur d’une gestion risquée ou aveugle ou encore le résultat, ce qui est le cas en l’occurrence, de l’incapacité d’une classe politique de faire comprendre aux électeurs qu’il faut réduire les dépenses.
2) cela résulte aussi d'une fiscalité plus lourde pour les hauts revenus, donc plus lucratives pour les caisses publiques. L'étude de la Chambre de Commerce ne dit rien d'autre, elle espère seulement que cette fiscalité plus lourde, comme vous le relevez, n'incitera pas ceux qui la supportent à aller voir ailleurs s'ils ne peuvent pas trouver une fiscalité plus clémente.
L’exode fiscal ne doit pas en effet être sous-estimé. Néanmoins on peut postuler que nos compatriotes les plus aisés n’ont pas que ce facteur en tête quand ils décident de demeurer dans le canton de Genève. L’agrément de la ville et du canton, sa tranquillité, son cosmopolitisme, son offre culturelle, la qualité de ses hôpitaux et cliniques, de ses commerces et hôtels, son environnement proche et lointain, la proximité de son aéroport, et last but not least la curiosité des fiscs étrangers et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et des raisons de leur patrimoine sont sûrement aussi sinon plus important qu’un bordereau d’impôt. En outre, comme vous le savez, à partir d’un certain niveau de revenu, même si la facture fiscale est douloureuse, quand ce qui reste permet de vivre très confortablement elle prend tout de même une autre dimension.
3) une présentation équilibrée de la situation exigerait de mettre ces recettes en regard des prestations publiques offertes par les collectivités publiques (cantons et communes) genevoises. Elles sont vraisemblablement plus nombreuses et de meilleure qualité que celles offertes par d'autres cantons (à vérifier évidemment). Une lecture attentive de cette étude vous permettra de constater que c'est les dépenses cumulées des cantons et des communes qui sont comparées. Cela permet d'éviter les écarts dus aux différentes répartitions des charges cantons/communes dans les cantons suisses. Cela étant, les cantons de Vaud ou de Zurich, retenus pour la comparaison, sont des cantons qui financent une université et un hôpital. Les vaudois ni les zurichois ne nous semblent être au seuil de la pauvreté. Est-ce à dire que nous dépenserions plus pour des prestations identiques? (J'ai pris cependant note que vous allez vérifier en quoi nos prestations sont meilleures que celles des cantons retenus pour la comparaison).
Il est très vraisemblable que nous dépensons plus. Mais ceci cher Monsieur Cogne résulte comme vous le savez d’une série d’arbitrage politique. Je ne connais pas un franc qui ne soit dépensé sans in fine une disposition légale votée par le Grand Conseil et soumis au référendum facultatif. Que ceux qui se plaignent des dépenses excessives (et ils y en a) fassent jouer les règles de la démocratie. En outre, les cantons de Vaud et surtout celui de Zurich peuvent diviser leurs dépenses globales par davantage d’habitants, ce qui tend à réduire la charge des services publics par habitants.
4) En fait la seule question pertinente est: est-ce que le prix de revient des prestations publiques genevoises (leur coût unitaire) est franchement plus élevé que celle des autres cantons? Voici (enfin) une vraie question de journaliste. Je me réjouis de vous lire à ce sujet.
Moi aussi !
Commentaires
Je vous remercie pour votre réponse à ma critique. Voilà qui va nous permettre d’amorcer un débat dont, sans nul doute, vous sortirez convaincu de l’importance de notre charge fiscal et de la fragilité de notre pyramide des contribuables.
Pour faciliter la lecture de nos propos mutuels, je vous propose de ne pas reprendre systématiquement nos écrits mais d’y répondre point par point.
Premièrement, j’apprécie votre nouveau titre. « Les Genevois paient trop d’impôts » n’est plus faux. Toutefois, j’attire votre attention sur le fait que la CCIG n’a pas dit « trop », elle s’est bornée à constater que les Genevois paient deux fois plus d’impôts que la moyenne suisse. Je constate ainsi que, pour vous (comme pour moi), deux fois plus, c’est trop!
Vous affirmez que la majorité des Genevois ont un revenu inférieur à 80’000 francs. Il me semble important de définir ce que vous appeler revenu. S’il s’agit du salaire individuel, vous avez sans doute raison. Je garde le souvenir que le salaire mensuel médian à Genève avoisine les 7’000 francs. En revanche, ce n’est pas que ce salaire individuel qui est fiscalisé. Il faut y ajouter le revenu du conjoint par exemple. Je vous renvoie à l’étude de l’OCSTAT citée dans ma réponse précédente. On y voit que le revenu brut médian des couples mariés se montait, en 2003, à 113’685 francs. Cela représente près de 35’000 francs (42 %) de plus que, selon vous, les 80’000 francs que ne gagnerait pas la majorité des Genevois.
Comme, à vous lire, c’est dès 80’000 francs de revenu que l’on paye plus d’impôt à Genève qu’ailleurs, et bien nous voilà d’accord sur un premier point. C’est bien la majorités des Genevois qui sont concernés, en tous les cas la majorité des familles.
Cela étant, l’étude de la CCIG ne prétend pas que chaque foyer paye, toute chose égale par ailleurs, le double d’impôt que ce qu’il payerait ailleurs en Suisse. Au risque de me répéter, elle montre simplement que les recettes fiscales totales (Canton et communes) par habitant en 2004 à Genève s’élèvent à 13’297 francs, contre 6’718 francs dans les autres cantons. Je vous accorde que ce n’est pas exactement le double. C’est quand même 98% de plus!
Une lecture attentive de l’étude (décidément, vous ne l’avez toujours pas lue - voici l’adresse à laquelle vous pourrez la télécharger: http://www.ccig.ch/pages/news.asp?newsid=214) vous aurait permis d’ailleurs de constater (page 20 et 21) que la CCIG se félicite de cette solidarité des « gros » contribuables en faveur des plus modestes.
Voilà un deuxième point sur lequel nous sommes d’accord.
Concernant notre endettement record (39’911 francs par habitant) je vous accorde qu’il n’est pas, à lui seul, un indicateur de notre pauvreté, même s‘il représente près du quintuple (5 fois!!!) la moyenne des autres cantons, sauf peut-être de notre pauvreté à comprendre que notre collectivité vit au-dessus de ces moyens. Cependant, cet endettement record, lié à nos recettes records, n’a qu’une explication: nos dépenses records. A Genève, canton et communes confondus, on dépense 19’316 francs par habitant en 2004, soit 66% de plus que la moyenne des autres cantons.
Et nous voilà d’accord sur un troisième point. Cela découle « de l’incapacité d’une classe politique de faire comprendre aux électeurs qu’il faut réduire les dépenses » Cette étude n’a pas d’autre objectif que de l’expliquer, et je vous remercie de nous y aider.
Concernant le départ éventuel de « gros » contribuables, c’est vrai que la fiscalité n’est, et c’est un fiscaliste qui vous le dit, pas un but en soi et que d’autres critères peuvent primer. Je n’ai cependant pas le sentiment que les habitants de Coppet ou de Nyon soient plus éloignés de l’aéroport que les résidents de Collonge-Bellerive ou de Cologny. La vue sur le Mont-Blanc compense largement la vue sur la Dôle, surtout si elle s’agrémente d’une diminution de la charge fiscale. La jungle est bien plus éloignée qu’on le croit.
Cela étant, s’il est vrai qu’une famille, active professionnellement, avec des enfants scolarisés, réfléchit à deux fois avant de déménager (j’ai pourtant de nombreux collègues et connaissances qui sont domiciliés dans le canton de Vaud ou en France voisine), il n’est pas moins vrai que la question se pose différemment pour les retraités, en tous les cas pour les plus riches d’entre eux (ces fameux « gros » contribuables) qui, en tout état de cause, passe beaucoup de temps dans leur résidence secondaire (sur le Salève ou ailleurs). La notion de domicile peut s’appréhender pour eux très différemment. La presse s’est récemment faite l’écho du déménagement de contribuables aisés.
Il est quand même paradoxal qu’à Genève, à l’exception peut-être de la Vieille-Ville, plus on est riche, plus on s’éloigne!
Voilà un point sur lequel nous ne semblons pas d’accord. Malheureusement pour vous, l’actualité semble me donner raison!
Concernant le fait que chaque franc dépensé découle d’une loi voté par notre Grand Conseil, personne n’en doute. La vrai question pertinente est de savoir si les francs dépensés en plus à Genève soit 7’700 francs par habitants (19’316 à Genève, 11’616 dans les autres cantons) nous offrent une qualité de vie meilleure. Une fois de plus, le Tiers-Monde ne commence pas outre Versoix.
Quand à faire jouer les règles démocratiques pour faire baisser nos dépenses, c’est justement un des objectifs de cette étude et je vous remercie de l’avoir relevé.
L’audit d’Arthur Andersen ou le projet GE-Pilote auraient sans doute pu nous renseigner sur la question de savoir où le coût de nos prestations est plus élevé qu‘ailleurs. On n’y a pas donnée suite. Dommage.
Finalement ne doutez pas un seul instant de ma volonté d’augmenter globalement nos recettes fiscales. Leur très importante croissance (Comptes 1999 - Projet de budget 2008, plus 36%), juste après la baisse du taux d’impôt de 12%, me réjouit. Voilà près d’un milliard de francs supplémentaire chaque année qui peut être dépensé au bénéfice de notre collectivité. Pas mal, non?
Alors, toujours pas convaincu?
Je réjouis de vous lire.
Yves Cogne
Cher Jean-François,
J’aimerais répondre à votre note récente par 2 observations :
Vous dites que notre beau climat et une certaine qualité de vie nous inciteraient à Genève à être plus tolérants sur les impôts que nous payons. Quel raisonnement bizarre : à vous entendre, plantons 3 palmiers supplémentaires le long de la rade et nous serions tous d’accord de voir nos bordereaux s’alourdir ! J’aime mon Jet d’eau depuis ma naissance mais il ne m’a pas échappé que le bord du lac de Zurich est au moins aussi agréable pour 50% de recettes fiscales en moins par habitant. Quant à Zoug, son centre-ville est au moins aussi attrayant que les Rues-Basses pour le prix d’une broutille fiscale. Sans parler de Gstaad ou Saanen où la fiscalité baisse à vue d’œil et qui figurent parmi les étapes obligées de tout voyage en Suisse. A l’opposé il ne me semble pas que Bellegarde ou Le Creusot soient connus pour être des paradis fiscaux locaux. Votre théorie des climats à la sauce fiscale ne tient donc pas plus que celle de votre brillant prédécesseur, Montesquieu qui avait, lui, au moins l’avantage de reconnaître que l’Etat se devait d’intervenir le moins possible pour le plus grand bien du public.
Quant à votre phrase « l’endettement n’est pas un facteur de pauvreté », elle mériterait pour le moins de figurer dans tous les manuels d’économie de première année. Si vous êtes endetté jusqu’au cou comme Genève l’est aujourd’hui, vous ne pouvez plus autant investir dans vos infrastructures, rénover vos immeubles ni ré-asphalter vos routes. Votre patrimoine va donc vieillir sans être réparé, amélioré, vous allez vivre sur vos acquis sans pouvoir vous payer ce que vos voisins acquièrent. Vous êtes dans la situation où vous avez encore une télévision noir et blanc lorsque tout le quartier est passé à la couleur il y a 10 ans. Contrairement à ce que vous dites, l’endettement à haute dose comme le pratique notre canton est donc bien un facteur assuré de pauvreté future. Et je poursuivrai volontiers ce dialogue avec vous lorsque les taux d’intérêt auront remonté…
Soyons sérieux : quand une entreprise fabrique un produit 50% plus cher que ses concurrents, elle fait faillite. Quand l’Etat de Genève coûte 50% plus cher par habitant que Zurich, on veut augmenter ses impôts. Cherchez l’erreur.
Quand les pays industrialisés, y compris la France, diminuent leurs impôts pour attirer des entreprises et créer des emplois, on veut augmenter les impôts à Genève. Cherchez l’erreur.
Dans la mondialisation, tout bouge plus vite, les contribuables et les emplois. C’est un fait. L’argent des contribuables n’est plus captif, sauf précisément pour les plus pauvres d’entre nous. Eux, ils ne partiront pas. Alors il serait temps que ceux qui nous gouvernent s’adaptent au monde tel qu’il est et arrêtent de raconter des histoires aux électeurs. Qu’ils gèrent efficacement l’avalanche des 3.3 milliards de francs d’impôts qu’ils reçoivent chaque année avant d’en vouloir plus. Genève dépense 6500 francs par an par habitant de plus que Zurich pour faire fonctionner l’Etat. Vous appelez ça comment, vous, de la justice fiscale ? Moi j’appelle ça de la gabegie et de l’incompétence.
Nous devrions tous être honteux à Genève de présenter des dettes et des comptes pareils au reste de la Suisse. Le drame, c’est que nous y sommes tellement habitués que nous n’en avons même plus honte ! Genevois, réveillons-nous pour l’avenir de nos enfants et de leurs emplois…et l’avenir de nos retraites !
Merci pour l’article, oui c’est un geste remarquable