Stupéfiant débat mardi soir à Infrarouge sur la question des minarets. Mais quelle mouche a donc piqué les managers de notre TV nationale pour donner une pareille tribune à l'Union démocratique fédérale, un parti insignifiant en Suisse romande et totalement inconnu à Genève? Comme l'a écrit un internaute forcément (?) anonyme cité à l'écran au début de l'émission, hier soir, j'ai eu honte d'être suisse.
Massimo Lorenzi qui regardait sa montre sans arrêt, impatient vraisemblablement que cette mascarade se termine, n'a pas facilité le débat en censurant d'emblée le secrétaire de l'UDF. Son principal argument contre les minarets était la réciprocité que les pays musulmans n'offrent pas aux églises chrétiennes.
Si le casting du côté de ceux qui veulent inscrire dans la Constitution suisse (on rêve) l'interdiction des minarets était inquiétant, il n'était guère plus heureux du côté des défenseurs de l'identité musulman. La télévision n'avait invité que des croyants: trois musulmans et un apparatchik catholique. Pas un seul politique pour défendre l'état de droit. Tariq Ramadan, venu de son Université d'Osford où le Genevois enseigne l'islamologie, s'est donc retrouvé défenseur des libertés fondamentales et de la laïcité. L'intellectuel (c'était hélas le seul sur le plateau) balançait entre la consternation et l'amusement.
Que répondre en effet aux arguments surréalistes des nains de jardin? "L'islam c'est la guerre", a déclaré Christian Waber, conseiller national UDF. Son français l'a-t-il trahi ou a-t-il révélé sa pensée profonde? "L'islam est incompatible avec l'état de droit en raison du statut d'infériorité dans lequel il tient les femmes", a tenté de plaider Maximilien Bernhard, président de l'UDF Vaud. Et tous les nains d'affirmer en choeur: "Nous sommes libéraux car nous vous avons permis de manifester sur la place fédérale".
Tariq Ramadan, Erwin Tanner, secrétaire du groupe "Islam" à la Conférence des évêques suisses, Hafid Ouardiri, ancien porte-parole de la mosquée de Genève, et Hedia Renggli, une Helveto-tunisienne (la seule femme sur le plateau) ont eu beau expliquer qu'un minaret n'est qu'un signe distinctif et rien d'autre et qu'il est fou, tout de même, de voir dans les 350'000 musulmans du pays des islamistes, terroristes en puissance.
Rien n'y a fait. Le 11 septembre est passé par là, explique Massimo Lorenzi. Et le journaliste décidément bien mal inspiré de se faire l'interprète des antiminarets: je vous pose deux mauvaises questions, dites-nous, M. Ramadan: êtes-vous d'abord Suisse ou musulman? Et le Coran, est-il compatible avec notre Constitution? Ramadan répond évidemment que le Coran prescrit de respecter la loi du pays (Ce qui ne manque pas de sel quand la loi est la charia).
Avec ces deux questions. on atteint le sommet d'un nouveau Kulturkampf. Au XIXe siècle, durant la guerre du Sonderbund, on accusait les catholiques d'être plus fidèles au Pape qu'à la Suisse. Et vers la fin de ce même siècle, à Genève, le régime radical a fait fermer pendant une génération les églises restées fidèles à Rome. C'est de ces événements qu'est né le parti catholique conservateur, devenu après fusion avec la branche chrétienne-sociale le parti démocrate-chrétien. Sera-t-il nécessaire que les 350'000 musulmans créent le parti démocratique islamique pour être enfin considérés comme des citoyens suisses à part entière?
Pourquoi tant de haine? L'anti-islamisme est-il du racisme? Ramadan le pense à demi-mot. "Entre vous et moi déclare-t-il, un rien menaçant, aux antiminarets, il y a le droit."
La lecture des nombreux courriels et sms, presque tous anonymes, qu'on peut lire sur le site de la TSR fait froid dans le dos. Est-ce le fidèle reflet de l'opinion suisse sur les musulmans? Je n'ose le croire. Pas plus que le choix des débatteurs d'hier soir était le fidèle reflet des Suisses.
Commentaires
La limite de cette émission est qu'il doit avoir obligatoirement deux camps. Chaque position a donc tendance à être poussée sur l'arête la plus tranchante de son opinion. Il n'y a pas d'intellectuels sur le plateau parce qu'il n'y a pas de place pour la nuance.
Le terme d'intellectuel est inadéquat. Nous sommes tous des intellectuels car, même ceux qui n'utiliseraient que leurs mains ont besoin pour ce faire de leur cerveau...
Mais ce n'est pas le débat. Le plus inquiétant dans tout cela est selon moi le retour de la religion sous toutes ses formes dans le débat politique. Or, la religion se base sur des croyances invérifiables. De plus elle tend à vérouiller la spiritualité dans un carcan de dogmes dont la nature même est d'être incompatible avec la liberté de pensée.
Seule la laïcité est ainsi de nature à préserver le droit de chaque être humain de confesser ou non une religion et de choisir, en ce dernier cas, à quelle religion il donne sa préférence.
Tolérer la religion chrétienne nous impose donc de tolérer les autres et donc la construction de minarets.
Mais, cela ne nous impose pas, à nous les incroyants, de tolérer que des croyances et des pratiques qui ne relèvent que de la sphère personnelle soient imposées au niveau public.
Encore un point, ne confondons pas peuple, culture et religion. Ce ne sont pas les croyances qui nous rassemblent mais bien notre appartenance à l'espèce humaine qui est une et indivisible.
Pierre Gauthier
Le terme "intellectuel" est parfaitement typé depuis Zola. Il ne signifie pas le simple usage de son cerveau, mais il désigne d'une part un homme qui par son travail intellectuel privilégie l'analyse et d'autre part le fait que cet homme prenne position sur la place publique en un engagement politique, social, phiolosophique, etc.
Ces deux conditions (il en est d'autres) sont structurelles de l'intellectuel. Le terme est donc parfaitement adéquat ici.
Sur le fond, il est parfaitement erroné de prétendre que le fondement de la religion est invérifiable. Que ce ne soit pas scientifique, soit. Pas toujours raisonnable, soit encore. Mais la foi n'a rien à voir avec une chimère. C'est autre chose.
Un carcan de dogmes ? Pas sûr.
Sur la laïcité je suis en revanche plus d'accord avec M. Gauthier. Il doit exister un point de rencontre rationnel entre les diverses religions qui prenne appui, non pas sur les différentes révélations, mais sur la raison.
Je remercie ces deux honorables internautes de leurs commentaires. Certes le débat exige par définition des points de vue opposés. En l'occurrence le choix de la télévision est doublement malheureux. Surtout pour la communauté musulmane. Une fois de plus, elle s'est présentée sous les traits du duo Ramadan Ouardiri. Demander à un citoyen suisse musulman son point de vue sur les minarets, c'est à peu près la même chose que demander à un boulanger si ses croissants sont frais.
Qu'une religion soit fondée scientifiquement ou pas n'est pas le problème (sociologiquement la religion est un fait avéré et la sociologie est une science, n'est-ce pas!). Ce qui est en jeu, c'est le degré de tolérance de notre société. Dès lors qu'on nous inflige des affiches d'un goût parfois fort douteux - que je tolère - je ne vois pas au nom de quel principe, on interdirait à la communauté musulmane d'ériger des mosquées et des minarets dans nos bourgs. Ce débat déshonore notre pays.
A noter encore les propos de l'ex porte parole de la Mosquée de Genève, qui a rappelé que personne n'avait posé d'exigences à l'époque de la construction du minaret de Genève quant à sa taille.
Une question me vient à l'esprit, les mosquées respectent-elles l'égalité homme-femme ou les femmes sont-elles encore cantonnées dans un coin à part de la mosquée ? Si les hommes et les femmes peuvent "prier"ensemble côte à côte alors je n'ai rien contre les mosquées dans le cas contraire, on ne peut accepter que cette communauté fasse de la discrimination !
Bonjour, merci de votre commentaire.
Mais s'il fallait réduire la liberté des institutions qui ne respectent pas à la lettre les droits fondamentaux notamment l'égalité entre les femmes et les hommes, Genève devrait interdire nombre de clubs, à commencer par les Vieux Grenadiers. Vous semblez en fait considérer comme beaucoup de nos concitioyens que l'acceptation des minarets reviendrait à donner une caution à la doctrine islamique. Il n'en est rien. L'Etat n'a pas à intervenir dans la conscience des citoyens.
Merci de votre réponse mais cela ne répond pas à ma question.
Nos femmes se sont battues pour les libertés, nous ne pouvons donner à nos filles un message négatif. Quant aux Vieux Grenadiers, personnes n'empêche les femmes de porter plainte contre cette institution...
Personellement, je pense que si il s'avèraiit que de nombreux minarets devaient être érigés, nous créerons un climat d'intolérance, qui sera peut-être difficilement controlable. En tous les cas comme l'a bien dit TR, les musulmans peuvent tout à fait se recueillir et prier en l'absence de minarets.
P.S. il est bien entendu que je trouve également beaucoup de discrimination dans la doctrine catholique ! (il n'y a qu'à entendre les déclarations du pape de ce jour au Brésil!)
Je ne vois aucun inconvénient à la construction de mosquées, églises, temples, etc. où que ce soit dans le monde, du moment qu'on évite les nuisances sonores autant nocturnes que diurnes...