Certains projets ferroviaires, à l'époque, s'en allaient par la ligne du Tonkin rejoindre le Valais, Milan, Venise, Istanbul et Bagdad ou Pékin. Quelques rêveurs imaginaient même relier Paris à l'Italie via Genève par des tunnels, sous la Faucille et sous les Alpes. C'est Lausanne qui remporta finalement la mise (et le Lötschberg). Ayant manqué ses rendez-vous ferroviaires (ici et là), Genève s'est heureusement rattrapée en construisant un aéroport sans lequel la région ne serait sans doute guère plus développée que Bordeaux ou Dijon. Sans Cointrin, Genève ne serait tout simplement pas une ville internationale. Il ne faudrait pas l'oublier à la veille de la votation du 24 novembre.
C'est en furetant sur le site de la Bibliothèque nationale que l'idée m'est venue de ressortir quelques anciens blogs sur les "CEVA nouit" (ici et là). La BFS y publie notamment les projets ferroviaires locaux avortés, comme celui du Grimsel, entre Meiringen et Domodossola, que d'aucuns veulent relancer.
Alors que la France constate qu'elle dépense des milliards d'euros à faire circuler des trains vides sur des lignes de chemin de fer régionales qu'elle ne peut plus entretenir - et qui sont donc condamnées -, en Suisse et à Genève, la bataille du rail n'est pas terminée **. Mais à quel prix? Abaisser le prix du ticket ou l'offrir gratuitement signifie forcément une hausse des impôts ou le renoncement à d'autres tâches publiques.
Ce sera la prochaine étape quand le CEVA roulera. Au fait combien va-t-elle coûter par année cette infrastructure qui aura englouti presque deux milliards pour 11 kilomètres de voie, 20, 40, 60 millions (Dans le projet de loi 8719 voté en 2002, portant sur la part genevoise du coût du CEVA - 400 millions de francs, le reste, 550 millions, étant payé par Berne en raison de la convention de 1912 - les charges financières étaient évaluées à 28 millions par an *. Depuis la facture totale a dépassé 1,8 milliard de francs (plus 234 millions d'euros côté français), encore que nul part sur le site du CEVA je n'ai trouvé de décompte)?
A ce coût de l'infrastructure (compté ici sans la part fédérale) il faut ajouter le matériel roulant et les frais d'exploitation annuels (supérieurs à la normale car ce "plus grand RER transfrontalier d'Europe" n'a pas réussi à se mettre d'accord sur un modèle unique de train: encore 20 millions? Combien au fait? Qui va payer la note? Enfin, devraient être comptabilisés encore les budgets complémentaires pour les parkings d'échange et les bus sans lesquels les gares du CEVA ne séduiront que leur proches riverains.
* Le Canton de Genève annonce ce jour qu'il a emprunté 660 millions à un taux d'intérêt inférieur à 0,2%. C'est inouï.
** L'histoire des chemins de fer dans la région genevoise est racontée par le menu sur le site du département de l'urbanisme. Les réflexions continuent. A voir: le site, hélas endormi, de 500 mètres de ville en plus. Ou le projet de l'architecte Charles Pictet de déplacer la gare de La Praille à Colovrex ou encore la création d'une branche du Leman express sous la colline de Bernex et bien sûr le projet le plus avancé quoique contesté par l'ingénieur Weibel de la construction d'un gare souterraine à Cornavin (coût 1,6 milliard) et d'une boucle reliant la ligne de Paris en passant sous la gare de l'aéroport. En attendant, la revitalisation de la ligne Tonkin (celle des Carpates l'a été), l'eurométro Lyon-Cointrin ou la remise en fonction de la ligne du pays de Gex et sa connexion à Nyon et à Meyrin.
Voilà, voilà! Le CEVA va donc enfin connecter la Suisse et la Savoie. Il en a fallu des projets pour relier par voie ferrée le plateau Suisse et la vallée de l'Arve. Aux XIXe siècle, le grand siècle du chemin de fer, les projets évanouis, disparus, abandonnés se comptent à Genève sur les doigts des deux mains. S'ils ne se sont pas réalisés, c'est que l'intérêt économique n'y était pas. L'est-il aujourd'hui? Je continue d'en douter (tout en souhaitant me tromper car, au prix du CEVA, un échec serait une sacrée Genferei)
Certes les Genevois ne manqueront pas d'idées - tarification des parkings, phasage des feux. péage urbain, maintien du bouchon à la douane de Bardonnex... - pour forcer les travailleurs pendulaires à emprunter le Leman express plutôt que leur voiture et ainsi assurer au CEVA un petit rôle dans la mobilité locale. Une réduction de 12% du trafic transfrontalier actuel est tout de même attendu, soit quelque 40'000 voyageurs par jour. Mais Annecy reste à 1h30, deux fois le temps par l'autoroute. Peu de chance de séduire les pendulaires d'Annecy, de Cruseilles et même de Chambéry. J'en connais.