Mercredi 11 novembre. Ce jour de la Saint-Martin et de l'armistice a vu le soleil percer la grisaille. On suit d'un regard distrait l'émission Infrarouge du sémillant Alexis Favre, au titre bien alarmiste "Covid, le crash sanitaire?". Son point d'orgue nous fait lever le sourcil. Dites-nous Alexis, pourquoi ne pas avoir parlé ce soir des cas de harcèlement à la RTS?
La question paraît plus que téléphonée. Elle permet au brave Alexis un peu emprunté tout de même d'expliquer que la RTS n'est présentement pas le meilleur média pour débattre de ce sujet, qu'elle n'a rien caché de la situation - sauf que sans l'enquête du journal Le Temps, rien ne serait sans doute sorti - que des enquêtes sont en cours et que, promis juré, Infrarouge ne reculera pas si les résultats de ces enquêtes soulèvent des questions de portée universelle. Voilà! Candide est satisfait?
Pendant ce temps, Le Temps ronge son os. Ce matin, il revient sur ces "dix jours du scandale sans issue visible" à l'occasion du retrait du chef de l'information, le temps de l'enquête.
Qu'il est difficile de se regarder sous tous ses aspects. Il faut donc un regard étranger pour dire la vérité? Et comment la dire? Le Temps a-t-il fait tout juste en consacrant cinq pages à ces révélations fracassantes? Les règles de l'omerta brisées, les vannes ouvertes ne déversent-elles rien d'autre que ce que la morale actuelle #metoo réprouvent ou ne s'y mêlent-il pas quelques rancœurs trop longtemps recuites, quelques vengeances froides, quelques méchancetés gratuites, quelques Schadenfreude et même quelques opportunités syndicales?
Darius Rochebin, dont j'ai pu admiré la tranquille habileté à l'antenne autant que j'ai détesté son costume cravate, risque de payer cher ses libertés passées. Sa carrière est brisée, à moins que sa plainte contre Le Temps ne lui permette un jour d'obtenir des dommages et intérêts, ce qui paraît peu probable. Vae victis. Malheur aux vaincus. Ce n'est pas le premier ni le dernier à être harceler par la vindicte médiatique. Sauf qu'il est plutôt rare qu'un journaliste, vedette de surcroît, se trouve dans cette sale position.
Pour revenir à l'objet du prochain débat d'Infrarouge, les questions de portée universelle ne manquent pas: #metoo, le code éthique ultime? Harcèlement, pourquoi les patrons sont-ils aveugles? La séduction au boulot, un péché capital? Pas vu pas pris, est-ce normal?
Sous le titre France, "Indulgence des médias à l’égard du harcèlement ?", la revue de presse concoctée par Romaine Jean pour l'Union internationale de la presse francophone me signale ce matin encore un article d'Arrêt sur image, lequel revient sur l'affaire Matzneff (rien à voir évidemment avec les gaudrioles internes à la RTS).
Daniel Schneidermann rebondit, toujours très suspicieux et très critique, à une enquête publiée par la Revue des médias de l'INA où "un correspondant du New York Times, Nori Onishi, nommé à Paris depuis cinq mois, pose une question toute simple : "Matzneff est l’auteur de journaux intimes remplis de détails sur ses relations sexuelles avec de très jeunes filles en France et avec des garçons encore plus jeunes aux Philippines ; comment est-il possible qu’il ne soit pas en prison ?"
On le suit dans sa quête et on débouche sur cette question existentielle: à quoi sert un correspondant étranger? Quel sujet doit-il épingler à son tableau de chasse? De ce choix jaillit non pas l'actualité générale ni non plus un portrait balancé d'une nation, mais un tableau excessivement idyllique ou sombre d'un coin de cette terre selon que le journaliste braque son regard sur la belle France ou ses turpitudes, ses ronds-points occupés, ses bas quartiers en voie de sécession, ses hôpitaux débordés.
Cette question du choix du sujet et de la place qu'on lui donne traverse tous les médias, tous les journalistes, même ceux qui font de la news en continu en recrachant le fil des agences. Comme tous les métiers, le journalisme est vraiment un métier difficile.