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À Bénarès, je retombe en enfance

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Les cloches, les tambours, les flûtes, les trompes des temples ne s'arrêtent que quelques heures par jour. Et quelques heures au mitan de la nuit. De 11 heures à 16 ou 17 heures, les dieux et leurs servants font la sieste. Tous les hommes n'ont pas ce loisir et continuent à trimer toute la journée. Les frappeurs d'instruments doublent d'ardeur pendant les fêtes qui sont nombreuses en Inde, un peu comme chez nous, naguère, quand les saints étaient à la fête. S'ajoute le fléau des hauts-parleurs. La rumeur monte partout, dans une compétition entre les quartiers qui prend des airs de défi et accroît les tensions, quand les voisins sont poli- et monothéistes. Alors les militaires sont mobilisés, armes à la main, gilets par balles, détecteurs de métaux, fouilles corporels.

Tel est le quotidien des habitants de deux quartiers de la vieille ville de Bénarès. Du côté du Dasaswamedh, le Gast des dix chevaux sacrifiés, le bazar indien étend ses venelles tortueuses. Au bord du fleuve, à 19 heures le soir et 6 heurs le matin, monte la prière à Ganga, la mère Gange, et à quelques autres avatars de Shiva, né ici. Du côté du Harishchandra gaht, s'étend un quartier musulman. Tous les jours, une centaine de crémations - les guides improvisés affirment que 200 à 300 tas de bois brûlent chaque jour.

Entre les deux un temple hindou, le temple de Vishwanath, dont les coupoles portent 800 kilos d'or, et une mosquée, laquelle, nous dit un desservant du sanctuaire hindou, a été bâtie sur les cendre d'un temple dédié à Vishnu. Ambiance... Un peu comme si, à Genève, Saint-Pierre était flanqué d'une mosquée ou que les catholiques rappellaient que la cathédrale fut la leur durant trois siècles et qu'elle a été bâtie sur une première église remontant ou IVe ou Ve siècle...

Nous n'avons pas l'air indien, je suis bien trop grand, Marie-Cécile bien trop blonde, mais, dépouillés de tout appareil photos, d'objet d'écriture et d'arme..., nous tentons notre chance. Après avoir pris notre place dans la file indienne qui bouche la moitié de la ruelle étroite qui donne accès au quartier du temple, après avoir été fouillé deux fois, avoir passé un portique de detection, après avoir été toisé par un militaire et une secrétaire soupçonneux, chargés de recueillir notre identité et les preuves de notre dévotion à Shiva, que nous avons achetée 200 roupies à un vendeur de fleurs et de lait sur le pas de porte, nous pouvons nous faufiler au cœur du sanctuaire. Moins d'une minute. Il est 11h passées, pas question de raccourcir la sieste du père de Ganesh. Dans la cohue, nous jetons nos fleurs et versons notre pot de lait sur le linguam, tandis que tout à côté, des servants vident le contenu blanchâtre d'un seau en plastique bleu sur un autre linguam. Impossible de faire le tour à cette heure de rush. Nous sommes poussés dehors.

Un instant me reviennent en mémoire les rituels de mon enfance à Compesières. Les rogations du mois de mai, la Saint-Jean, l'Assomption, la Saint-Joseph, la Toussaint, l'immaculée conception, le spectacle de l'école reproduisant une crèche dans la vieille chapelle sur le mode des Noël provençaux (je fus l'archange Gabriel), les Rois mages, la Chandeleur, Les Rameaux, Pâque, quelques pèlerinages à la Salette de Feigere, la bénédiction des maisons par le curé de la paroisse...

De toutes ces manifestations de la dévotion populaire en pays catholique genevois (celui des communes réunies à la ville de Genève et à ses mandements, il y a 200 ans, pour former le canton et l'attacher à la Suisse), la fête Dieu est sans doute celle qui ressemble le plus aux fêtes indiennes. Un nouvel autel était dressé dans l'église, couvert de fleurs et de bougies. ici chaque pâté de maison possède une statue d'une divinité locale nichée dans un renfoncement de mur, sous un arbre ou dressée sous une tente multicolore.

Le saint-sacrement, au coeur de l'ostensoir doré qui ressemblait à un soleil, était porté haut par un prêtre, le curé de la paroisse, habillé d'une grande cape de brocard, brodé de fil d'or, dont il relevait les pans pour tenir l'objet sacré. Il remontait lentement la nef sous un dais soutenu par quatre hommes. Ouvrant le cortège, un autre prêtre ou un diacre en habit blanc, suivi d'une cohorte d'enfants de choeurs, les plus jeunes en robe rouge et surplis blanc, les plus grands en aube blanche. je n'ai porté cet habit qu'une année, avant que la modernisation de l'église ne balaie toutes ces rituels et les remplacent par un enseignement rationnel de la vie de Jésus, sans doute nécessaire mais qui manquait sacrément de sensualité.

Derrière le curé, d'autres hommes, parmi eux mon père, portaient des bannières en tapisserie montrant des saints en gloire ou torturés. Des franges dorées et des pompoms pourpre rehaussaient la préciosité de ces images. Une chorale chantait et les orgues grondaient. Nous étions tous endimanchés.

Le prêtre déposait l'ostensoir sur l'autel fleuri. Tout le monde s'agenouillait et regardait par terre tandis qu'un cliquetis se faisait entendre. Je levais un œil et voyait le prêtre balancer un encensoir d'où sortait une fumée blanche et parfumée, celle de l'encens, une substance mystérieuse dans mon souvenir d'enfant, qui venait de l'Orient et montait vers Dieu comme nos prières, disait ma grand-mère en ajustant une image pieuse dans son gros missel noir à papier bible. On pouvait voir la lumière du soleil colorée par les vitraux. Aujourd'hui des spots et des fumigènes reproduisent le même effet sur les fans qui se pressent autour de leurs idoles, dont les seins ne sont pas encore aussi proéminents que ceux des danseuses de Khajuraho.

Nous ressortons du temple de Bénarès, puis du quartier. Le soleil brille dans un ciel laiteux. On le voit à peine du fond des ruelles, où les motos de quelques marchands imposent leur priorité à coups de klaxon. Direction le Blue Lassi, un bar qui sert une belle palette de yaourts liquides agrémentés de fruits et de saveurs, un must à Bénarès. L'etablissement est fréquenté essentiellement par des touristes, mais les Lassi sont effectivement délicieux. Comme par hasard, l'estaminet qui entasse 12 à 15 clients dans 8 mètres carrés est sur le chemin du gaht des crémations. Les cortèges funéraires sont incessants.

Commentaires

  • Si l'excès de sensualité a pu s'attirer les moqueries et apparaître comme ridicules, le lien de la religion avec l'art reste à mon avis indispensable, l'enseignement rationnel de la vie de Jésus ne touche que l'intellect, et ne sert à rien, entrant simplement en compétition avec la science laïque.

  • C'est drôle, Mr Mabut, vous êtes à Bénarès et moi je rentre de Pondichérry !
    Je compte me rendre lors de mon prochain voyage en Inde, outre Auroville qui est ma destination de cœur, à Calcutta et Bénarès précisément !
    Peut-être aurez-vous des tuyaux intéressants de voyageurs à me passer ?
    Bonne fin de séjour, profitez-bien car le "retour" est plutôt "dur, dur" du côté de chez nous !
    Très cordialement à vous,
    ChristoS

  • Ces beaux récits d'Inde nous font voyager. On ressent ces émotions liées à des découvertes des paysages, des monuments et des relations "touristes-indigènes". Aider un jeune à trouver sa voie grâce au règlement d'une année d'anglais, qui lui garantit l'accès à un métier est un acte merveilleux.

    Les spectacles des vaches séduisent aussi.

    Benarès est aussi une ville où oeuvre depuis plusieurs décennies une ong suisse - http://www.kashibyseva.net/index.php?option=com_content&view=frontpage&Itemid=1&lang=fr - dans le domaine sanitaire grâce à une étonnante médecin genevoise, qui donne sa vie pour les lépreux.

    Partir en plein hiver dans un pays où le soleil brille et prodigue sa chaleur bienfaisante ajoute à la magie du voyage.

    Bonnes vacances!

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