Calvin, d'Augustin à Jean-Jacques (11/03/2009)

saint augustin.jpgQue s'est-il passé exactement en 1727 à Genève entre les pasteurs Turrettini père et fils? Ce n'était pas le coeur de la brillante conférence donnée hier soir à la salle de la paroisse protestante de Carouge par le jésuite Jean-Blaise Fellay. Mais cette date marque un tournant dans l'histoire du calvinisme genevois.

Qui vit alors une vraie bascule entre la damnation, à laquelle les hommes étaient voués dès l'origine, sauf quelques élus, quasiment tirés au sort par Dieu le Père sans mérite de leur part, et la révolution rousseauiste naissante. Jean-Jacques déclare que l'homme est bon et que c'est la société qui le corrompt. Une phrase, dont les protestants libéraux firent leur beurre, et qui, aujourd'hui encore, est le moteur de la plupart des partis politiques, de la pédagogie et de la Justice, note le théologien.

La théologie de la damnation remonte à l'histoire d'Adam et Eve, au péché originel. Derrière Paul et l'épitre aux Romains, Augustin s'en fera le théoricien et inventera le salut de l'homme par la grâce de Dieu. Luther, moine augustinien, et Calvin en tirent leur théologie et pour Calvin la théorie de la double prédestination.

La centaine de personnes réunies par le groupe oecuménique de Genève grand-sud ne bronche pas. Même si, à l'heure des questions, l'insistance du jésuite sur cette théorie aujourd'hui honnie par les protestants libéraux suscite un certain malaise. A quoi bon rappeler ce catéchisme qui gouverna Genève durant près de deux siècles? Mais Fellay insiste, même si la prédestination heurte nos esprits démocratiques, elle est bien au coeur du message calvinien.

"Calvin, c'est le sommet de l'augustinisme", dit Jean-Blaise Fellay qui en connaît un bout. Voilà plus de trente ans que l'auteur du "Pari de Dieu" tourne autour du réformateur: un génie. "Il faut du temps pour tourner autour d'un massif montagneux", dit le guide de montagne qu'est le Valaisan.

L'Institution chrétienne (et ici), l'ouvrage cardinal de Calvin et véritable constitution de la théocratie genevoise, l'atteste pourtant. Il faut se remettre dans le contexte explique l'érudit Fellay. Les temps étaient durs, la mort rodait sans cesse. La peste noire ravageait l'Europe. Comment ne pas accréditer l'idée de la damnation. Adam avait fauté et Jésus-Christ n'avait rien changé à la vie des hommes. Les femmes enfantaient dans la souffrance, le travail était éreintant et les mauvaises herbes envahissaient les champs, raconte le jésuite. Bref nos ancêtres étaient à cent lieues du Paradis.

Augustin, puis Calvin ouvrent en fait une petite porte d'espérance dans cet enfer terrestre: le salut par la grâce que Dieu accorde dans sa miséricorde dès l'origine à quelques-uns. Ils n'ont point de mérite ces élus, mais un devoir de rectitude et leur élection dit Calvin est remarquable à quelques indices: la fortune de leurs affaires, leur réussite dans leurs entreprises, même guerrières sont autant de signes de Dieu.

Felley brasse les siècles à vive allure. Les non initié ont dû en perdre un peu leur latin. Que s'est-il donc passé à Genève en 1727. Rien qu'un renversement qui se préparait depuis une ou deux génération et que Jean Delumeau, cité par Fellay, résume: la fin du Rois soleil, précédée par la Révocation de l'Edit de Nantes, la fin de Port Royal et des jansénistes (des augustiniens eux-aussi), la condamnation de Richard Simon, meilleur exégète de son temps. Bref cet effondrement ouvre la porte aux Lumières, à Voltaire et à Rousseau et à leur dérive ultime: Robespierre qui invente la terreur pour éliminer les méchants qui empêchent l'avènement d'une société juste et égalitaire.

Fellay va plus loin et cite encore Lénine et Hitler. Il a fallu ces deux monstres encore pour que l'on cesse de glorifier le pouvoir et la toute puissance. Toute puissance de Dieu, si souvent instrumentalisé aujourd'hui encore par le pouvoir politique.

Et Fellay de revenir au coeur de sa foi. Jésus-Christ a-t-il souvent parlé d'Adam et d'Eve et de damnation, demande-t-il? Sans doute n'avait-il pas lu la théologie de Paul ni celle d'Augustin, dit il pince-sans-rire. Dieu s'est fait humble et pauvre, serviteur. Voilà nos fondamentaux qui nous séparent nous chrétiens, radicalement, des autres religions et philosophies. La puissance de l'amour, c'est de se faire humble, c'est le respect total de l'autre, même quand il fait des bêtises. Il faut se sentir aimer, compris pour avancer. Tout est dans Marc l'évangéliste: "Tu es mon fils bien aimé". C'est l'amour désintéressé qui fait venir à l'existence, qui permet de faire des miracles et d'être sauvé. Non pas un Dieu faible, mais un Dieu fort qui se fait petit.

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