Des tomates pour Doris (18/04/2008)

1040687674.jpg Hier c'était la journée de la terre et des luttes paysannes. Doris Leurthard, ministre de l'économie et donc de l'agriculture, est venue au cœur du Pays romand, c'est à dire en terre vaudoise, défendre son projet d'Accord de libre échange agricole avec l'Europe. Quelque quatre cents paysans - jeunes, femmes et retraités compris - ont écouté poliment notre Donna Quichotta. Mais la fronde sourdait grave sous la pluie de Moudon. «On aurait dû prendre des tomates» murmuraient les céréaliers les plus remontés, rapporte Romain Clivaz ce matin dans la Tribune. Des tomates contre un ministre ? Du jamais vu en Suisse? Que nenni, ça m’a rappelé des souvenirs d’enfance.

1992563984.pngMon père, avant de devenir leader des paysans genevois, fut membre de l’Union des producteurs suisses, devenue Uniterre, section suisse de Via Campesina (tendance Fernand Cuche). Fin des années 50, début des années 60, on était en pleine révolution verte.

L’azote minéral, les nouvelles variétés, la sélection animale faisaient doubler les rendements. De réguliers surplus agricoles engorgeaient les greniers de la Confédération, l’obligeant à de coûteuses mises en valeur des denrées excédentaires. Seule solution pour tempérer la fièvre productive qui s’était emparée des campagnes, baisser les prix.

«Produisez, Berne s’occupe du reste» était alors le slogan en vogue. Reçu cinq sur cinq. Les paysans produisaient et n’entendaient pas être les dindons de la farce et se voir privés des bénéfices des progrès de la science.

Le monde des campagne, dont le poids politique était considérable, s’échauffa au point de se rassembler un jour devant la Palais fédéral et d’y balancer les tomates qui n’étaient pas parties au Rhône. Mon père était à la tête des manifestants. Il écopa avec quelques compères de plusieurs jours de prison avec sursis. Mais les prix agricoles ne baissèrent pas aussi vite que le commandait une saine gestion économique. Les paysans vécurent heureux durant 30 ans, jusqu’à la chute du mur de Berlin. Les contribuables et les consommateurs payèrent chers l’élimination des montagnes de beurre et des tonnes de tomates inutiles.

A sa prochaine apparition publique, Leuthard doit-elle redouter un entomatage ? Certainement. Le monde paysan se bat aujourd’hui pour sa survie. Et est plus que jamais dépendant de la Confédération.

Lenjeu est simple. L’accord de libre échange que vise Doris Leuthard et que réclament les autres milieux économiques (sans accepter pour autant le même traitement) doit faire baisser les prix agricoles de 25%. L’objectif est que cet argent profite aux consommateurs qui aujourd’hui dépensent environ 4 milliards de francs de trop par rapport aux consommateurs européens.

Le hic, disent les paysans méfiants, c’est qu’entre eux et les consommateurs il y a en Suisse un duopole commercial qui s’appelle Migros et Coop. Ce sont les grands distributeurs, dénoncent-ils, qui vont s’approprier le magot. Chers clients, quand vous allez dans votre magasin favori, demandez-vous en effet à quel prix nos géants oranges achètent la tomate ou la salade qui, hors saison, n’est «de la région» que sur leur pub.

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