Demain, tous santons! (24/12/2020)

santons de provence.jpgDemain, le film de Cyril Dion, - un lustre déjà - donne à voir un monde ensoleillé, bio, serein, délivré des conflits et des maladies. Il ne parle pas de la mort. Comme la publicité. Il nous parle de gens heureux, riches, sains et même solidaires, du monde dont on rêve et dont les utopistes ont fait et font leur beurre. La pandémie 2020, dit-on, nous met au défi de nous arracher du monde d'hier, de la compétition, de la concurrence, du profit et d'en bâtir un meilleur.

Quand le vaccin aura donné au monde présent l'immunité de groupe, soit d'ici quelques mois, un an ou deux, sûr que chacun voudra vivre comme Demain. Cependant, les avions redécolleront, les autos s'encolonneront, la consommation régnera sur la terre. Comme au ciel? 

Joyeux Noël!

On ne sait pas de quoi est faite la vie dans les cieux, qu'évoque le Notre Père. Mais il est sûr que cette prière, la seule que l'Enfant né dans une crèche nous a donné. n'est pas au programme des écoles de management ni couché dans les manuels des économistes. Elle ne règle pas non plus notre quotidien, sauf exceptions. Notamment, là où tout manque, où le pain quotidien est rare, que, faute d'épargne, on survit comme les lys des champs et les oiseaux du ciel: sans toit, sans pantalon. 

Je viens de terminer trois livres qui posent tous trois la même énigme: pourquoi le monde n'est-il pas meilleur?

Le plus célèbre est le dernier prix Goncourt, où un avion, son équipage et ses passagers sont copiés collés et réapparaissent dans un monstrueux orages sur l’Atlantique, à l'identique mais trois mois plus tard. Un décalage insignifiant à l'aune de l'histoire de la terre et des cieux mais pas à la mesure de notre vie individualisée. Qui sommes-nous donc, s'interroge le narrateur égrenant le chapelet d'une dizaine de destins dédoublés? Cette Anomalie est-elle l'effet de ces trous de ver sensés connecter des univers parallèles? Hervé Le Tellier préfère l'hypothèse du genre Matrix. Notre réalité est un faux semblant, une illusion, une construction, le produit de programmes informatiques. Entre le mythe de la caverne et le néant numérique. 

Amin Maalouf, dans Nos frères inattendus, fait lui débarquer des Grecs de nulle part, sans doute de l'Atlantide, mais il ne cite pas le mythe du continent perdu. Ces frères inattendus se révèlent soudain pour empêcher notre monde de sombrer dans un cataclysme nucléaire. Ils sont mortels mais bien plus puissants que nous. Ils renvoient notre civilisation avancée au rang de celles des Incas et des Aztèques et d'autres peuples inconnus, conquis et soumis en en si peu de temps par les conquistadors. Contrairement aux Espagnols des rois très catholiques, ces Grecs semblent généreux et altruistes. Leur société, raconte Maalouf qui tient le journal de leur irruption, ne se préoccupe plus que d'un problème qui leur résiste encore: la mort. La maladie, la dégénérescence de l'âge, leur médecine a vaincu ces causes de souffrance et de lamentations.  Ils en font profiter quelques humains qui se pressent devant leur navires hôpitaux comme des pèlerins à Lourdes. 

 En ce Noël 2020, l'Etna crache plus haut ses laves incandescentes. Mais c'est le Stromboli voisin, régulier comme une horloge neuchâteloise, qui a inspiré Serge Bimpage, pour son dernier roman foisonnant et helvétique. Un volcan surgit au nord du petit pays confit dans son yenn'apointcommenous, barre l'écoulement des eaux du Rhin, contraint des populations à migrer dans les Alpes, où elle croise un professeur d'histoire suisse, un Genevois très contemporain, c'est-à-dire sans autres préoccupations apparentes que de tenir son rang dans son microcosme: sexe et texte. La Déflagration interroge tout de même les gens du petit pays, comme la pandémie actuelle. Demain, c'est sûr - enfin on veut l'espérer - sera un autre jour. 

Trois ouvrages bien écrits qui me laissent toutefois sur ma faim. Aucun cataclysme - et combien ceux que le monde a vécu durant le XXe siècle ont été bien plus plus cataclysmique que les événements rapportés dans ces romans - jamais n'a transformé le cœur des humains pour en faire des anges ou des santons. 

Des santons... J'ai réécouté hier soir avec beaucoup de bonheur la Pastorale des santons de Provence. L'histoire de la Nativité est bien connue, mais elle prend une dimension à la fois identitaire et prophétique dans la version d'Yvan Audouard et Raymond Chevreux. Les chants, les figures, les réponses de la Marie, de Joseph, les commentaires de l'ange Gabriel, le narrateur, me plongent dans des abîmes de réflexions et dans l'univers insondable du Créateur, Celui du ciel et de la terre, des trous noirs aussi et de ce mystère de l'incarnation. Nos romanciers sont talentueux, mais ils ne rivalisent avec l'histoire de ces gens simples. Ce récit me ravit et me fait toucher le présent éternel.

 

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