La France, ses saints et ses martyrs (21/10/2020)

hommage à samuel paty.jpgEvidemment, l'assassinat d'un enseignant est un acte innommable. Le meurtre de tout homme l'est. Tuer un humain est un blasphème, nous explique le prof Michel Grandjean dans une tribune publiée par la Tribune de Genève, car l'humain est à l'image de Dieu et "blasphémer, c’est porter atteinte à l’honneur de Dieu". Le blasphémateur est donc l'assassin et non le caricaturiste ou l'enseignant ou le journaliste qui montre la caricature. Tout meurtrier est blasphémateur.

La démonstration est subtile. Trop sans doute pour renverser le point de vue ordinaire de bon nombre des croyants (et pas seulement en Dieu): est blasphémateur celui qui s'en prend au sacré, c'est à dire à ce que des hommes ont cru, compris, déclaré comme sacré d'une révélation. Le fait est que Jésus, dont les chrétiens se réclament, n'a laissé aucune trace écrite. Dieu, YHWH ou Allah non plus. Bouddha si mais c'était un homme. 

Bref, tout ce qui est connu comme textes sacrés a été écrit de main d'homme (rarement de femme). Ce n'est pas rien et ce n'est pas mette en doute la sainteté des premiers scribes, mais leurs textes sont forcément datés et doivent être lus et relus sans cesse en regard des temps présents.

La lecture des textes sacrés est une dialectique infinie que les fondamentalistes nient. Ils sont pétrifiés comme les tables de la loi. En cela, ils blasphèment car Dieu a créé un monde et des créatures qui évoluent, qui progressent qui régressent, qui naissent qui meurent, qui sont libres de croire ou pas. 

A moins de considérer que l'évolution soit l'oeuvre du mal et le ressort premier du monde. Dans le Guide des égarés, Jean d'Ormesson propose ce renversement:  "Au lieu de considérer le mal comme la rupture scandaleuse d'un ordre universel dominé par le bien, peut-être (peut-être!) devrions-nous inverser la perspective. Et  voir le bien comme une exception lumineuse dans un monde où règne le mal.

La liberté d'expression ne serait donc qu'une conquête toujours menacée, toujours à conquérir, à défendre, à tester dans des limites que le temps présent et ses déclinaisons culturelles et nationales fixent - de manière beaucoup plus libérale aujourd'hui que naguère. 

Même le libéralisme a ses limites. Des limites, que les défenseurs de liberté d'expression ont eux-mêmes ancrées dans la loi (racisme, antisémitisme, discrimination en raison de son orientation sexuelle récemment votée par le peuple suisse, incitation à la violence, diffamation, injure, etc.) et les limites que l'éthique prescrit et le respect aussi, ce respect que l'on doit à l'autre et qu'on réclame pour soi-même. Sans parler du politiquement correct et ces mots qu'on n'ose plus prononcer: vieux, noir, handicapé, homme même... 

La France en rendant un hommage nationale et officiel à Samuel Paty joue un double jeu dangereux. L'enseignant est victime d'un blasphémateur mais ce n'est pas ce titre que la cérémonie à la Sorbonne, temple de la connaissance, de l'humanisme, est organisée. Il s'agit, comme l'église catholique sanctifie, de rendre hommage à un martyr de la liberté d'expression, soit, ici, la liberté de caricaturer et de montrer la caricature, un droit imprescriptible, demain une obligation faite aux enseignants, aux médias? C'est un Kulturkampf.

Cependant, le Kulturkampf du XIXe siècle, celui des Républiques contre l'église catholique romaine voyait la dynamique de la république l'emporter sur une église grosse déjà de modernité, d'ouverture au monde, de normalisation. En 1905 en France, en 1907 en Suisse, l'Etat s'émancipait des églises. L'émancipation d'un fils par rapport à sa mère (disons que le père était grecque). 

En ce début du XXIe siècle, la République (française) est faible et affaiblie, l'Europe est vieillissante, tandis que l'islam (totalement liés à des régimes politiques dictatoriaux) est conquérant. Assiste-t-on à l'inversion du sens du vecteur colonial et impérial?

 

A lire: Suisse-France: quel droit au blasphème? par Bernard Litzler

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