"Fratelli tutti" et le PDC (07/10/2020)

fratelli tutti.jpg"Fratelli tutti". "Nous sommes tous frères", rappelle le pape François dans sa troisième newsletter aux évêques publiée le 4 octobre, fête de la saint François d'Assise. La nouvelle n'en est pas vraiment une dans le monde chrétien, puisque nous sommes tous également enfants de Dieu, malgré nos différences de genre ou de couleur, nos cultures et nos histoires, nos querelles et nos exclusions. 

"Fratelli tutti" - Wikipedia lui consacre déjà une notice intéressante et le site français sur la doctrine sociale de l'église une longue analyse* - traite de l’amitié entre les humains. La pierre d'angle de l'encyclique est cette histoire bien connue du bon samaritain, cet étranger honni qui sauve un juif agressé par des brigands que ses coreligionnaires ignorent et abandonnent agonisant au bord du chemin. Fratelli tutti est un grand texte, long, dense, foisonnant, qui intègre nombre d'allocutions et de discours de l'évêque de Rome et clôt le triptyque des encycliques de François: Lumen Fidei (relation avec Dieu) et la célèbre Laudato Si’ (relation avec la terre).

Le programme politique du pape est clair**. Est-ce la raison qui incite le parti démocrate-chrétien suisse à chercher son salut et une renaissance en se rebaptisant Le Centre/Die Mitte/Allianza del Center?

Alors que le monde occidental est en recherche de sens, il est paradoxal qu'un parti chrétien abandonne ce qui fait sa spécificité et fut la boussole de l'Europe et de ses migrants pendant des siècles. Cependant, un parti n'est pas une église et le pape n'est pas un chef politique. En abandonnant le vocable chrétien pour le centre dans sa dénomination, le parti peut se libérer de la critique récurrente de ne pas être assez chrétien - l'est-on jamais assez - et libère aussi les chrétiens - singulièrement l'église catholique - d'un compagnonnage aujourd'hui obsolète. 

N'empêche qu'on peut s'étonner de ce paradoxe.

En 1970, le parti démocrate-chrétien suisse adopte son nouveau nom. On est au lendemain du Concile Vatican II, qui a ouvert l'église catholique au monde et émancipé le peuple de Dieu. Le socialisme, le communisme, le maoïsme, le libéralisme innervent les campus universitaires. La démocratie-chrétienne s'alimente au personnalisme de Mounier, rêve d'une troisième voie entre le capitalisme privé et le communisme qui n'est qu'un capitalisme d'Etat, regarde l'Allemagne, où le modèle rhénan de l'économie sociale de marché semble en mesure de répartir les fruits de la croissance entre presque tous.

En 2020, les idéologies sont mortes. Les gens ne croient plus en rien, pas même en eux-mêmes. Une majorité de la génération des baby-boomers (nés entre 1945 et 1964) a au fond atteint son objectif. Elle vit une vie globalement plus confortable, plus libre, plus émancipée. Même si une certaine amertume, la solitude, la vanité écaillent le brillant de la société libérale avancée. En Suisse, où le niveau de vie moyen reste un des plus élevé du monde, les millenials (la génération Y née entre 1988 et 2000 et la génération Z née après 2000) manifestent plus leurs peurs que leurs espérances: peur de ne pas être à la hauteur, peur du réchauffement climatique, peur de la concurrence des pays émergents, peur du virus, peur d'être agressé, peur des robots, des algorithmes, de l'"intelligence" artificielle, du contrôle généralisé.

Aucun parti ne répond à toutes ces peurs.

Fratelli tutti vient opportunément rappeler que nous sommes tous frères. 

 

* En Suisse, Mgr Alain de Raemy, au nom du présidium de la Conférence des évêques suisses, commente l’encyclique du pape François. D'emblée il énumère les personnes citées qui ont alimenté la réflexion du chef de l'église catholique. "Trop rares sont les femmes citées, remarque l'évêque auxiliaire du diocèse de Fribourg, Genève et Lausanne

 

** Encore que François élude (ou laisse aux politiques le soin de régler) cette question (parmi d'autres) qui est au cœur de son encyclique et le casse-tête des économistes: la dignité humaine par l'octroi d'un travail digne pour tous. A ce propos, je cite le point 123 de l'encyclique, histoire de donner de me donner du grain à moudre pour une prochaine note:

123. Certes, l’activité des entrepreneurs « est une vocation noble orientée à produire de la richesse et à améliorer le monde pour tous ».[101] Dieu nous promeut ; il attend de nous que nous exploitions les capacités qu’il nous a données et il a rempli l’univers de ressources. Dans ses desseins, « chaque homme est appelé à se développer »,[102] et cela comprend le développement des capacités économiques et technologiques d’accroître les biens et d’augmenter la richesse. Mais dans tous les cas, ces capacités des entrepreneurs, qui sont un don de Dieu, devraient être clairement ordonnées au développement des autres personnes et à la suppression de la misère, notamment par la création de sources de travail diversifiées. À côté du droit de propriété privée, il y a toujours le principe, plus important et prioritaire, de la subordination de toute propriété privée à la destination universelle des biens de la terre et, par conséquent, le droit de tous à leur utilisation.[103]

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