La solastalgie du président du Conseil d'Etat genevois (25/09/2020)

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Antonio Hodgers a ouvert la grand messe qui se tient jusqu'à dimanche en la cathédrale Sicli, au coeur du Geneva green downtown comme le disait Mark Muller. Le prédécesseur oublié de l'actuel conseiller d'Etat chargé de l'aménagement du canton parlait du PAV, le fameux futur quartier Praille Acacias Vernet. Une première réalisation massive et granitique s'élève bien dans le quartier Pont Rouge, une réalisation des CFF. Mais cette "Gotham City" ne fait pas partie du périmètre PAV, lequel inscrit son losange tronqué à l'est de la route des jeunes, cette voie construite dans les années 30 pour occuper les chômeurs, quand l'industrie était encore le fer de lance du développement de Genève et qu'on ne passait pas son temps à discourir sur les limites de la croissance. 

Aujourd'hui Genève, c'est 390'000 emplois et 500'000 habitants, a d'emblée rappelé Antonio Hodgers. Normal, la ville est un pôle d'attractivité. Dans 20 ou 30 ans, il en sera peut-être différemment, quand les travailleurs et leurs employeurs auront intégré toutes les potentialités du télétravail. Sauf que ce rapport de presque 4 travailleurs pour 5 habitants est sans doute unique au monde et n'a d'explication que l'histoire de la cité Etat et d'une géographie enfermée dans une frontière tracée en 1815, comme jadis l'était la ville dans ses remparts. 

240'000 des 390'000 travailleurs habitent dans le canton. La moitié sont de nationalité étrangère. Les 150'000 autres sont aussi majoritairement de nationalité étrangère. Hodgers a justement planté le décor, ajoutant que le salaire moyen à Genève était 16% plus élevé que le salaire suisse qui est sans doute le plus élevé du monde même si le coût de la vie ici est aussi parmi le plus élevé du monde. On lui disputera la notion de salaire moyen mais c'est un détail. 

Je n'ai écouté qu'à 23 heures 30 le discours inaugural des Rencontres du développement et en accéléré. Je n'ai pas suivi la conférence de Bernard Lescaze ni le débat qui a suivi. Qui a encore le temps? Le discours de notre président, qui ne veut plus l'être, était trop long. J'ai retenu un mot: solastalgie. Il m'a fallu recourir à Wikipedia pour comprendre ce néologisme qui fleure bon la collapsologie. L'écrivain genevois Serge Bimpage lui a préféré le terme nostalgiose dans "Déflagration" son dernier roman paru aux Editions de l'Aire. 

Je n'ai pas retrouvé ce syndrome, la solastalgie, dans le Discours de Saint-Pierre prononcé il y a un peu plus de deux ans an par Pierre Maudet quelques jours avant l'éclatement de l'affaire qui a déchu l'alors président du Conseil d'Etat. 

"La solastalgie", dit Hodgers, à la 13e minute de l'enregistrement, "c'est ce sentiment diffus que le monde est en train de s'écrouler, que plus rien ne sera comme avant. Au niveau personnel, la solastalgie, c'est une tristesse qui s'abat sur nous lorsque nous voyons les lieux de notre enfance changer, évoluer. La solastalgie, c'est le regret du futur avec une note amère." 

Que fait-on? On bloque tout? Impossible, dit le président du Conseil d'Etat. Chaque habitant consomme 10  tonnes d'équivalent CO2 quand la neutralité carbone est à une tonne. Figer la société, c'est la condamner. Il faut donc changer. Et c'est aux politiques d'orienter la barque sur la bonne voie. Mieux encore c'est aux citoyens responsables d'avancer en étant conscient - je résume - qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs. C'est en particulier à 30 citoyens tirés au sort qu'il appartient d'ici février 2021 de dire ce que les institutions politiques ne seraient plus capable de dire et de faire. Un gadget évidemment. 

J'ai vu ce soir un Antonio Hodgers fatigué, pessimiste, qui dit carrément: l'avenir ne fait pas rêver *. Il en veut naturellement pour preuve ces jeunes qui manifestent leur peur du réchauffement climatique. Comme si la jeunesse se résumait à cette échéance, bien moins problématique au demereuant que l'alimentation et la liberté des 7,5 milliards d'humains qui peuplent la terre.

Comment peut-on être gouverneur de Genève avec un tel état d'esprit, un tel manque de confiance? Le Vert n'est décidément pas digne de gouverner. Lui manque-t-il le courage de démissionner?

 

*Jeudi matin, six heure plus tard, je lis la chronique de Bruno Frappat dans La Croix. Je vous la livre:

 

L’humeur des jours

La peur guide nos pas

Bruno Frappat

Anxiocratie

La fleuriste trouve les gens tristes. Elle vend moins de fleurs et les clients de passage ne sont pas joyeux, elle les trouve tendus, anxieux, froussards. Ils se demandent tous si « le confinement ne va pas reprendre ». Elle a son avis sur cette éventualité : « Ce serait catastrophique pour l’économie : la mort de la France. »

La mort de la France comme scénario possible, il est sûr que si beaucoup de Français ont cette hantise en tête, la joie de vivre ne peut pas être au rendez-vous de ce début d’automne. La perspective sinon de fin du monde, du moins de fin de la France, a de quoi faire trembler toutes les consciences, alimenter toutes les peurs et inquiéter jusqu’aux plus raisonnables.

Chaque année, on pronostique une « rentrée dure » sur le plan social et politique. Mais les rentrées précédentes, telles que nous en avons gardé le souvenir, furent de la bibine pour les chats à côté de celle que nous vivons depuis la fin de l’été somptueux et pourri que nous aura réservé le funeste millésime 2020, avec sa musique d’accompagnement sinistre à base de Covid tournant au-dessus de nos têtes comme un aigle mauvais en quête de proies innocentes.

Les politiques commencent à s’agiter en tous sens sur leurs pauvres tréteaux au sujet de 2022, année de la prochaine élection présidentielle. Comme si c’était vraiment le sujet du moment ! N’ont-ils donc pas remarqué où les Français ont la tête et l’état dépressif de la nation ? Ignorent-ils que la déréliction est aux commandes quand les manettes de l’État semblent aussi bien arrimées que celles d’un jeu électronique cassé par un gamin colérique.

Il faut avoir l’illusion chevillée à l’âme pour s’imaginer qu’il serait doux et intéressant d’accéder au pouvoir dans de telles circonstances psychologiques. Comment peut-on aspirer à diriger un peuple en pleine crise de doute et taraudé par des peurs multiformes, qu’il s’agisse de sa santé, de sa sécurité ou de son travail ? C’est la crainte qui domine et commande nos attitudes.

Il suffit de regarder les citadins dans les yeux, au-delà de la barrière des masques pour se rendre compte qu’il y a peu de sourires sous cet accoutrement obligatoire. Chaque décision du politique fait l’objet d’un tir de barrage de critiques de bonne ou de mauvaise foi, de sarcasmes médiatiques. Les oppositions se régalent in petto des échecs du pouvoir à dominer la pandémie. Le petit peuple, lui, comme d’habitude s’en tient à ses rouspétances coutumières et spontanées à tout sujet.

Comment voulez-vous diriger un pays dans ces conditions ? Quelles marges de manœuvre pour ce qu’on persiste à appeler l’exécutif qui n’exécute plus, depuis des mois, que des ronds dans l’eau de l’impuissance à contrôler la situation et modérer la tragédie ? On pourrait considérer que nous sommes entrés dans l’ère qui aurait juste suivi la piteuse fin de la démocratie, celle de l’anxiocratie. Penser qu’il y a et qu’il y aura bousculade de candidats pour faire à leur tour semblant de diriger, tout cela laisse songeur sur le caractère permanent du goût pour les apparences du pouvoir. Au fond des limousines noires de la République que peut-on bien imaginer comme idées efficaces pour rassurer la population ?

Pour reprendre à son compte la célèbre formule inaugurale de Jean-Paul II le jour de son élection : « N’ayez pas peur ! » Si nous avons peur, nous tremblerons de toutes nos feuilles jaunies par l’automne. C’est le doute existentiel qui coule dans nos veines lassées et ronge le mental de la République. À trop pérorer dans le vide, à trop s’énerver à propos d’échéances surréalistes autant que lointaines, nous passons à côté du principe de réalité qui serait requis et qui est le frère du principe de confiance et de foi en l’avenir.

Car il faut bien s’en tenir à cette évidence : il y a toujours eu et il y aura toujours un avenir. C’est ainsi depuis que le monde est monde. Jamais il n’a été mis un point final à la présence de l’homme sur cette boule vagabonde que le soleil inonde. Imaginer que nous allons être les premiers à assister à cette disparition relève d’un pessimisme magique et paralysant qui ne peut laisser place à une ambition collective. Que les « dirigeants » dirigent et nous disent où aller, et nous irons mieux. Tous.

D’jeunes

Ils sont les dépositaires de l’avenir. Cet avenir, par définition, appartient aux jeunes. Et pourtant l’on sent bien qu’ils participent à leur manière à l’entretien de nos peurs de vieux caducs au sujet du futur. Par temps de Covid, les générations se croisent et se toisent. Quand ils s’agglutinent autour d’un banc public sans vous laisser la place de circuler, quand leurs skates vous frôlent à grand bruit, quand la bière coule à flots aux terrasses des « happy hours » sur les trottoirs des villes et qu’ils explosent de rire comme si la vie était toujours un lit de roses, nous nous demandons ce qu’ils ont en tête, ces écervelés. S’ils se rendent seulement compte de ce qui nous menace, eux compris.

Le soir, paraît-il, ils continuent à s’entasser chez l’un chez l’autre pour faire la fête et se bisouiller dans les coins. Ils ont un sentiment d’impunité, d’inaccessibilité. Le Covid-19 ne passera pas par eux. Et les sonos de chauffer, les amplis de trembler, les corps de se trémousser dans l’innocence des premiers jours.

L’on dit qu’ils sont insouciants, négligents, autocentrés et indifférents au sort des personnes plus âgées. Faut-il s’enfermer dans une attitude de méfiance intergénérationnelle ? C’est toujours tentant de râler contre « les d’jeuns » en englobant dans le soupçon méprisant tout ce qui se situe entre 15 et 25 ans. Dans la Bible déjà, les vieux joueurs de flûte considéraient les plus jeunes comme incapables de jouer de la belle musique. Aujourd’hui la musique est du côté de la jeunesse, mais les vieux ronchons qui les croisent en s’écartant les verraient plutôt comme des sacs à microbes, des réserves ambulantes à virus, des émissaires du mal qui nous hante et recommence à remplir les hôpitaux.

Il est injuste de généraliser et de prétendre que tout ce qui se situe dans les tranches d’âge de la jeunesse est un danger potentiel, une bande armée d’insolents et d’irresponsables. Ils ont dansé tout l’été avec notre approbation souriante, nous avons admiré, et même jalousé, leur capacité à maintenir haut le flambeau de la joie de vivre et partager une liesse communicative. On ne va pas, finalement, l’automne revenu, leur faire la tronche et leur reprocher de vouloir continuer à « vivre », tout simplement « vivre » comme ils le revendiquent constamment.

Ils sont insolents et négligents, soyons indulgents, c’est la base de la pédagogie. Avant de leur demander de prendre soin de nous, souvenons-nous qu’à leur âge nous étions aussi dans un bain de joie et de chansons insouciantes, malgré les drames et larmes du temps : la guerre d’Indochine, celle d’Algérie. La guerre froide et ses conséquences possiblement atomiques. Les virus avaient une autre forme, mais des peurs ­rôdaient aussi. Nous les avons dominées. Recommençons avec l’appui de jeunes qui ne sont pas plus étourdis que nous l’étions au moment des Trente Glorieuses.

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