"Il n'y a pas de recrudescence du racisme" (09/09/2019)

continent premier racisme .jpegGlisser sur une peau de banane, c'est une mauvaise plaisanterie. Jeter une banane à un Africain est un acte raciste. Tout comme imiter le cri du singe qu'on entend sur certains terrains de football. Et quand le public s'en vient à soutenir les hurleurs et non le joueur, le racisme éclate dans toute sa violence.

Quand un policier suisse traite un Arabe dans le huis-clos d'un commissariat de cochon d'étranger, le juge ne considère pas l'insulte comme relevant de la norme antiraciste inscrite à l'art 261 bis de notre code pénal, lequel prescrit que l'injure ou l'incitation à la haine doit être publique...

Quand un parlementaire suisse s'offusque qu'un haut fonctionnaire noir commis par le Conseil des droits de l'homme vienne enquêter en Suisse... Quand le philosophe Alain Finkelkraut dit que l'équipe de France de football est black, black, black*...

Le sang des Africains, notamment de ceux rassemblés ce lundi 9 septembre au Club suisse de la presse par le site d'information en ligne ContinentPremier.com à l'occasion de son troisième Gingembre Littéraire (ici et ), ne fait qu'un tour. Des témoignages font état de blessures répétées d'un racisme latent à Genève, qui n'attend, ici comme ailleurs, qu'une bonne occasion pour s'exprimer sans retenue. Qui trouve dans les réseaux sociaux une forme d'impunité. Qui se sent pousser des ailes quand des leaders d'opinion déversent leur propre haine.

Tout cela n'est que le reflet d'un progrès, dit a rebrousse-poil le juriste sénégalais Doudou Diène, dont la parole complexe n'a pas tout à fait calmer les douleurs des participants. Son discours tient en quelques points.

Il n'y a pas de recrudescence du racisme, affirme celui qui fut rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme. Le racisme est universelle. La race n'a aucun fondement scientifique, rappelle le vieux sage. Et encore: Le racisme moderne est le fruit de la traite des noirs mis en place d'abord pour des raisons économiques. L'esclavage moderne a profité de l'esclavage traditionnel ancestral. Mais bien vite, l'infériorité "naturelle" des peuples asservis est soutenue, théorisé par tout un corpus d'écrivains et de savants, y compris Voltaire, poursuit le professeur.  S'en est suivi un long silence et une quasi invisibilité des peuples soumis.

Aujourd'hui, on assiste à leur réveil. Et c'est ce réveil qui fait éclater la vérité du racisme, partout dans le monde. Je me suis réjoui de la déclaration de Finkelkraut, dit Diène. Le masque est tombé. Jusqu'à présent le racisme avançait masqué. Le voilà qui beugle. On peut l'arrêter. Nous vivons une phase d'accouchement, c'est normal que ça fasse mal.

Comment, demande la salle, qui vit la chose un peu différemment au quotidien. Il faut, dit le professeur, faire valoir ses droits, poursuivre et faire condamner les racistes. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Il faut lutter pour changer les mots, pour instruire partout. Comme le dit Brecht à propos de l'antisémitisme: "Le ventre est encore fécond qui a produit la bête immonde."

"Quoi, tu veux organiser une campagne contre le racisme dans notre commune, mais, mon vieux, il n'y a pas de raciste chez nous!" C'est un militant de la Maison Kultura qui exprime son histoire vécu. Depuis 50 ans que je suis à Genève, poursuit-il, je n'ai jamais vu un blanc à qui on adresse des cris de singe, on lance une banane, arrêté pour la couleur de sa peau. Quand j'étais Togolaise, tout allait bien, dit une autre intervenante. Quand je suis devenue suisse, mes collègues de travail m'ont traitée de Suisse synthétique.

Anne Laure Zeller témoigne à son tour de l'action du Centre d'écoute contre le racisme mis en place en 2014 sous l'impulsion de la Confédération. A Genève, la structure est une coordination de quatre associations. C'est un cas particulier. Dans la plupart des autres cantons, c'est le Bureau de l'intégration qui s'en occupe. En 2018, 55 personnes ont sollicité la structure. Anne-Laure Zeller ne dit pas que c'est beaucoup moins que les années précédentes, information que l'on trouve dans le rapport annuel 2018 dont on ne peut que recommander la lecture.

N'est-ce que le sommet de l'iceberg? Pourquoi si peu de plaintes et pourquoi la plupart émane d'Africains-Suisses (21)? Les autres ne sont peut-être pas informés de l'existence de la structure d'écoute, dit la préposée. Craignent-ils l'autorité ou d'autres conséquences fâcheuses? 

La soirée se termine. Pourtant les questions se bousculent. Doudou Diène en profite pour enfoncer son clou. 

Qui s’occupent des enfants, des personnes âgées en Europe? Ce sont des femmes noires ou arabes. De ce fait ces femmes sortent du silence et de l’invisibilité. Elles jouent un rôle essentiel dans un système de production qui se déshumanise.

Les banlieues? C'est simple. Le système industriel a importé des travailleurs et les a bannis dans les banlieues. Dans un premier temps la haine et la castagne a divisé les Africains (les noirs et nos frères du nord du continent). Puis ils ont reconnu être victimes des mêmes discriminations. Aujourd’hui, les jeunes des banlieues se solidarisent, ils construisent des réponses communes, ils sortent du silence et de l’invisibilité.

Et encore ceci, ne vous enfermez pas dans le concept de noir. Ce serait tomber dans le piège du racisme. Chaque fois que le raciste sort du bois et vous insulte il tombe le masque, c’est une victoire.

Un dernier conseil, lisez ces deux livres:

Mais où sont passé les Indo-européens?

Les géographies de l’esprit

 

* "Les gens disent que l'équipe nationale française est admirée par tous parce qu'elle est "black-blanc-beur". En réalité, l'équipe nationale est aujourd'hui "black-black-black", ce qui en fait la risée de toute l'Europe." Interview au journal Haaretz en 2005 cité par l'Obs.

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