Le président Macron ensorcelle-t-il l'Afrique? (02/05/2019)

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Et Genève, où d'importants musées publics et privés exposent des totems, des masques africains, des objets de pouvoir et de culte, et que cachent ses ports francs,  a-t-elle une politique de restitution de ces trésors aux pays spoliés par les colonisateurs, pillés par d'habiles acheteurs, mis sur le marché par des receleurs d'objets arrachés à vil prix à des migrants en quête de l'hypothétique eldorado occidental? 

La question n'a été posée qu'à la toute fin d'un débat passionné et passionnant organisé au soir du 1er Mai par Gorgui Ndoye, journaliste sénégalais et directeur du site ContinentPremier.com. Personne parmi les quelques 200 personnes n'ont pu répondre. Qu'en pense Sami Kanaan? Le maire et ministre de la Culture de la ville de Genève n'a pas le poids d’Emmanuel Macron. 

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C'est bien le président français qui a relancé l'espoir de voir un jour bientôt rapatrier en Afrique les milliers d'objets, collectés jadis des scientifiques, des aventuriers, des colons avec violence souvent, voire la volonté de casser les cultures autochtones, et conservés ici pour leur esthétisme ou leur valeur anthropologique.

Mais le président français, dans son discours de 2017 à Ouagadougou, n'a-t-il pas tendu un piège aux Africains? Ne les a-t-il pas ensorcelé et détourné de questions plus essentielles au développement du continent mère de l'humanité?

Présent à la salle Gandhi de la Maison des associations, l'écrivain et universitaire Felwine Sarr, qui a cosigné en novembre 2018 avec Bénédicte Savoy un rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain, s'est inscrit en faux. Il s'est aussi défendu d'être la marionnette des colonisateurs. La restitution des œuvres à l'Afrique est essentielle. "Le ventre n’est pas plus important que la tête, dit l'universitaire, l’un va avec l’autre."

La tension est palpable dans la salle vétuste de la rue des Savoises. L'enjeu est majeur pour l'Afrique et les Africains. Pour l'Europe aussi sans doute. La renaissance européenne, l’art d’être français, évoqués par Emmanuel Macron récemment implique de régler d’urgence de la spoliation dont les Africains sont les victimes.

 

Mais que sont ces totems réduits au silence - dixit Fatoumata Sissi Ngom - et qui ont envoûté les Picasso et les Apollinaire au tournant du dernier siècle? Felwine Sarr et les autres éminents participants à la table ronde, le professeur Souleymane Bachir Diagne et l'écrivaine Fatoumata Sissi Ngom ainsi que l'ambassadeur du Bénin Dr Eloi Laourou, se sont employés à les exposer et à contrer un à un les arguments des antirestitutions.

L'absence de musée sûr?

Un prétexte, voyez la Grèce, dit Sarr, qui a construit le musée du Parthénon et fait face au refus de Londres d'y rapatrier la frise du célèbre temple antique. Les Africains ont faim de savoir: 360’000 Béninois ont afflué au musée du Bénin pour voir quelques objets restitués.

Comment concilier le retour de œuvres de la culture animiste avec l'islam qui, plus que christianisme, professe un iconoclasme et une chasse aux idoles païennes vigoureuses - qu'on pense à la destruction à l'explosif des Bouddhas de Bamiyam.

Le chiisme n'exclue pas toute représentation, tente d'expliquer le professeur Diagne. 

Ces figures par leur arrachement à la terre des ancêtres ont perdu toute le valeur cultuelle. Certes, mais on peut les énergiser à nouveau. 

La réénergisation est un rituel traditionnel car la  puissance symbolique des idoles n'est pas éternelle. Seul l'Occident leur voue une valeur esthétique "éternelle".

En créant des musées en Afrique, que conservera-t-on et selon quels critères, les mêmes que ceux qui ont déterminé le tri des conservateurs et des anthropologues européens, essentiellement des valeurs esthétique et artistique, sans rapport en fait avec l'usage sociétal des pièces?

La restitution est un défi. Il nous faudra inventer de nouvelles formes de conservation et de mise en valeur procédant par exemple à des mises à disposition temporaires des objets au coeur des populations concernées. 

Comment réinsérer des totems parmi les jeunes urbains, accrochés à leur smartphone comme à une planche de salut, qui ont perdu tout rapport avec les us et coutumes de leurs ancêtres et sont captivés comme les jeunes du monde entier par des représentations et des postures mondialisées et virtuels? 

C'est le défi majeur, semble-t-il, dont les contours restent à circonscrire. 

Ne vit-on pas un bouleversant changement d'ère qui nous impose de réinventer nos totems et nos idoles identitaires? 

Une quête identitaire au fond guère différente de celle qui a jailli de l'incendie de Notre Dame de Paris. L'Europe a perdu un trésor. Les Européens sont-ils capables de comprendre que les Africains souffrent de la même perte?

Ainsi les questions ont rythmé cette passionnante soirée...

A suivre 

 

 

 

PS (ajouté vendredi 3 mai à midi) : Gorgui Ndoye a publié le 17 avril un plaidoyer en marge de l'incendie de Notre Dame pour la restitution des oeuvres volées à l'Afrique dans la Tribune du Genève. Ce vendredi, dans Libération, les mêmes arguements d'identité et de racine sont exposés dans le cadre de la reconstruction de la seconde tour de l'église Saint-Denis à Paris où reposent la plupart des rois de France.

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