Des journalistes sans formation préalable à la RTS (10/03/2019)

Session de rattrapage de Medialog, pratiquement la seule source d'actualité en Suisse romande sur le métier de journalisme, ce métier si divers qui fabrique les journaux d'actualité citoyens, qu'ils soient imprimés ou en ligne, édités en flux continu ou une fois par heure, par jour, par semaine, par mois..., sur des chaînes de radio ou de télévision ou sur l'Internet... Et ce n'est pas du tout la même chose.

Première séquence, voilà dix ans que Tamedia (Tages Anzeiger, Bund, Berner Zeitung, Basler Zeitung...) a acheté Edipresse (24 Heures, Le Matin, La Tribune de Genève). Seconde séquence: vocation journaliste, trois journalistes récemment sortis de la formation dispensée par le CFJM racontent leur motivation. Un constat: à aucun moment, on n'a évoqué la démocratie, la participation citoyenne, la formation de l'opinion, l'édification des gens, la valorisation de l'esprit scientifique.

Bref le journaliste exerce-t-il un métier de service public? Quelle est l'intérêt public de médias qui seraient de pure distraction?

Je souligne la notion de journal d'actualité citoyen (ce que ne serait pas Heidi.news dernier avatar en Suisse romande de l'éclosion des nouveaux canards sur le net dont presque aucun fait de vieilles plumes - à l'exception de Mediapart pour qui rien n'est gagné). Un journal d'actualité citoyen, c'est en effet un objet bien particulier.

Il s'agit de l'édition d'un objet: une liasse de feuille assemblée imprimée et donc non modifiable avec une première page portant un titre qui est une marque, avec une couleur, une histoire. Bien sûr aussi un bouquet d'émissions radio ou TV. Mais déjà la maque de l'éditeur est secondaire. Chaque émission à sa forme, sa couleur, son ton, sa voix, un début et une fin. C'est une marque en soi. 

Les informations éditées sur un site internet peuvent être modifiées (et ce n'est pas toujours indiqué visiblement). Elles n'ont plus qu'un lien diffus avec une marque  (podcast, copier coller d'un article dont la transmission peut se faire de manière autonome). 

Les objets d'information en ligne sont généralement diffusés sans référence à la notion de bouclage d'un journal à une moment fixé, toujours le même (ce qui fait que selon le moment dans la journée ou la soirée où on consulte un site, la série de titres disponibles en page d'accueil est très variable, jamais permanente, des choix ou des hiérarchies parfois déroutantes. L'offre des nouvelles change sans arrêt, en fonction de critères parfois surprenants - l'obligation que ça bouge, l'obligation de capter et de retenir l'attention de l'internaute, la surexposition et même la fabrication de ce qui fait le buzz et donc les clics, l'usage de vidéos surtitrées en gros caractères, surchargée de gimmicks.

Tout cela relègue au second plan les sujets sérieux, importants, complexes, savants.

Les vidéos portent souvent sur des sujets polémiques, extraordinaires et même inventés de toute pièce, dans le but toujours et encore de capter et de retenir l'attention des lecteurs, de le distraire plus que de l'informer.... et dans le but aussi que ces consommateurs vont à leur tour faire le buzz dans leur réseau, démultipliant la valeur de l'objet, façon téléphone arabe.

Bref le canard qui dit coin coin finit vite par dire con con et de transmettre quelque chose qui n'a plus rien à voir avec l'information citoyenne. 

Même la formation s'adapte à ce journalisme de distraction.

Nouveau profil des journalistes de notre radio TV public

Le journal d'actualité qui éclaire le citoyen et dénonce les petits et grands arrangements des puissants, c'est pourtant bien celui qui intéresse Medialog. 

Mais voilà le journaliste exerce un des métiers les moins considérés, les plus décriés, des "ennemis du peuple", dit de lui Donald Trump, des fouille merde, des "agents des pouvoirs qui dirige la France" disent des gilets jaunes qui n'hésitent plus à s'en prendre à lui physiquement. 

Comment regagner la confiance du public? La RTS, dit Antoine Droux, journaliste producteur de Medialog, a décidé de revoir le mode de recrutement de ses journalistes. Fini le cursus universitaire obligatoire. Place à la diversité qui doit refléter la diversité des auditeurs. Il a demandé à Géraldine Normand, chargée de formation ce qui change dans le processus de sélection.

Il suffit dorénavant de maîtriser le français, l'allemand au niveau scolaire, une autre langue au choix et avoir un permis de conduire...  Il s'agit, souligne la formatrice, de se libérer des formations préformatées... On a décidé, ajoute-t-elle, de ressembler davantage à la Suisse d'aujourd'hui dont 70% des jeunes suivent la voie professionnelle. Désormais on peut devenir journaliste à la RTS sans disposer d'aucun diplôme préalable, même pas un CFC.

Plus de QCM de culture générale non plus. Aujourd'hui, dit la formatrice, on a tous un téléphone portable dans la poche il suffit de savoir s'en servir pour connaître le nom du président de la confédération, mais un questionnaire qui permettra de dépister la personnalité. La RTS demande aussi la production d'un pitch en vidéo et trois jours de leur temps pour plonger dans le réel et créer quelque chose, histoire de découvrir leurs potentiels, leur savoir être, leur savoir travailler ensemble. Le journalisme doit être ouvert aux curieux, aux originaux, aux créatifs, à celles et ceux qui ont certes une tête mais un cœur aussi.

Qu'en dit l'université? Qu'en dit la SRT?

Quelle est la principale qualité pour devenir journaliste, demande Antoine Droux? La curiosité, répondent ses trois interlocuteurs. Et la foi en la bonne marche de la société démocratique, en la liberté, l'égalité, la justice? Et la faculté d'enquêter, le courage, la ténacité, la capacité d'analyse, l'indépendance, la force de résister aux pressions, aux séductions.

Antoine Droux cite enfin Albert Londres: "Je demeure convaincu qu'un journaliste n'est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie..."

 

PS: Le principal défi de journalistes, c'est de survivre au fait qu'ils ne sont désormais clairement plus les seuls à occuper l'espace de la communication/information. 

 

 

 

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