Tobi or not Tobi? (01/02/2019)

fer à cheval.jpgEh voilà! En ce 1er février, j'ai l'avantage de payer mon trajet de bus 2 francs (-30% Unireso). Et de me demander pourquoi les mères célibataires (ou abandonnées), et les chômeurs n'ont pas ce privilège?

L'abonnement senior (-20%) me vaudra toutes sortes d'avantages aussi. Et je n'ai pas fait le tour de tous ces petits plus, qui, mis bout à bout, allègent le budget des vieux dès lors qu'ils sortent de chez eux. A croire que plus tu consommes, plus tu profites. Qu'en pensent les jeunes adeptes de la sobriété made in XXIe siècle?

Merci donc à la société pour ces avantages. J'adresse aussi mes remerciements aux actifs qui paient mon AVS (bien que mon statut d'homme marié me vaille une moins-value de 25% sur la rente reçue par rapport à deux vieux faisant ménage commun).

Comme eux, je doute un que ces actifs qui paient nos rentes AVS, n'aient eux, sauf immigration massive, pas autant d'actifs à leur service pour payer leurs rentes quand ils seront vieux...

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J'ai donc organisé comme il se doit mon pot de départ. C'était mardi. Et c'était très sympa. Merci à tous mes collègues de leurs mots chaleureux et de leur attention. Puisque je reste encore un petit peu actif jusqu'à l'été, à m'occuper du forum des blogs, j'aurai l'occasion de doubler mon apéro de départ...

Voilà donc pour les curieux mon petit discours de départ. Pour bien comprendre, il faut savoir que Tobi est le nom du système rédactionnel automatique de Tamedia dont j'ai déjà parlé ici et ... or donc 

 

Tobi or not Tobi?

 

Tobi fut le dernier cheval de mon père, Jules. Un brave animal qu’on attelait sans peine à la charrue comme au char à pont. Il faisait bon ménage avec Fanchette, l’unique vache que ma grand mère Camille avait rachetée après le drame de la fièvre aphteuse. La maladie avait nécessité l’abattage de tout le troupeau.

Chacun avait sa place à l’écurie. Ils allaient de concert s’abreuver au bassin. La source coulait presque toute l'année. Elle s’est tarie quand l’autoroute du pied du Salève trancha la campagne d’un sillon bruyant.

Je n’ai pas connue Fanchette. Et je n’ai pas connu Tobi non plus. Le cheval fut vendu un matin de février 1956, l’année du grand gel qui  figea l’Europe par moins 20 degrés trois semaines durant. Une catastrophe climatique après le terrible hiver 1954. Les  40 pêchers du jardin et bien d’autres cultures partout en Europe, et des humains aussi, en furent les victimes.

Tobi vendu, mon père acheta un Case, un beau tracteur américain, rouge et crème, de 35 chevaux.

Le tracteur, de nouvelles semences, des engrais synthétiques, la foi dans le progrès, ce fut la révolution verte dans les campagnes genevoises.

Tobi a agité mes rêves d’enfant. Et le revoilà, fringant, piaffant, pissant la copie, mille fois, dix mille fois sans peine ni fatigue, Sans ruades non plus, Il tourne tout seul au bout de la ligne et creuse un nouveau sillon automatiquement, qu’il ajuste au besoin aux données de ses lecteurs.

Tobi or not Tobi, la question ne se pose pas. Tobi-robot et ses copains sont là, dans la presse comme ailleurs. Pour longtemps.

Hiii HAaa! crie l’éditeur, flattant la croupe de son nouveau poulain… Au marbre, qui ne s’appelle plus le marbre, l’inquiétude est palpable. Que sera Tobi quand il sera doté des promesses de l’intelligence artificielle?

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J’ai été sans doute le dernier journaliste embauché par Claude Monnier, au tournant des années 70-80. Il cherchait un secrétaire de rédaction. J’étais alors le modeste réd en chef à temps partiel de l’hebdomadaire du PDC, qui était monté et imprimé au Journal de Genève. Ce fut ma première chance. “Espèce de traître”, me lança alors une amie députée, qui ne comprenait pas comment j’avais pu me mettre au service d’un journal libéral.

Claude Monnier rêvait d’un journal sans employé ou presque. A ses yeux, une poignée de chefs d’édition omniscients, curieux, critiques et dotés d’un bon réseaux devait suffire à fabriquer un quotidien dont l’essentiel des chroniques proviendrait de journalistes libres. Il lança sur ce modèle le Temps stratégique.

40 ans plus tard, on y est ou presque. C’est le modèle de nombreux journaux en ligne. Les plus ambitieux promettent même un journalisme collaboratif avec les lecteurs, enfin certains d’entre eux, réputés détenir la connaissance et l’expertise.

Heidi! Heidi! ...  point news, renvoie l’écho dans le paysage médiatique romand. L'écho dit aussi Micro MicroJournal... point ch

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Quand Daniel Cornu me confia les rênes de la rubrique locale de la Tribune de Genève - mon deuxième coup de chance - un vrai mur coupait l’Europe en deux, séparant d’un rideau de fer le camp du mal et le camp du bien, l’est et l’ouest.

Le bien et le mal n’étaient pas du même côté, selon que l’on était démocrate ou communiste. Mais un même rêve habitait les peuples et les dirigeants des deux blocs. On résume en trois mots: boulot, frigo, auto pour tous!

Boulot, frigo, auto, plus robot, c’est aujourd’hui le rêve des Chinois qui se sont éveillés. C’est aussi le rêve de centaines de millions de pauvres de par le monde, qui dorment encore, mais plus pour longtemps, et dont une petite partie frappe à nos portes. On dresse des murs partou, de toutes formes. On est vert de peurs malthusiennes. On a perdu la foi.

 

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Je suis tombé dans les data en quittant le journalisme.

Par un nouveau coup de chance, je me suis, un jour de juillet 1991, retrouvé secrétaire général du Département des finances. Juste à côté.

Le saut fut sans doute trop grand et j'atteignis alors mon principe de Peter.  Dont le corollaire, qui souffre heureusement de nombreuses exceptions, est: «avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d'en assumer la responsabilité». Rien à voir évidemment avec la réalité passée, présente ou futur des entreprises en générale et de la nôtre en particulier.

Sept ans plus tard et trois milliards de dette en plus au bilan de l’Etat *, je quittais le service public. Micheline Calmy Rey ne me remplaça pas. J’eus alors la chance, encore une, nous étions en 1997-1998, de me trouver employable au moment où un certain Guy Mettan fut remercié par son éditeur… Marco Cattaneo, promu réd en chef, me proposa sa place.

Je m’y complus mais n’y fis pas de vieux os. Trop brouillon, trop imprévisible, trop proche des pouvoirs, trop critique, trop électron libre, je migrai au sein de la rédaction, comme on migrait alors d’un système rédactionnel à l’autre. Downsizing.

Chef de l’édition, je tentais sans succès de rapprocher l'édition print de l’édition web alors balbutiante. J’annonçais, avec un bon lustre d’avance, la fin du service des archives. Je prophétisait la fin des journaux papier pour 2005, 2010, 2015…

En 2007, Pierre Ruetschi trouva la solution idéale. Il me confia la gestion des blogs. J’étais enfin à ma place, capitaine solitaire d’un petit navire, virant à la conquête d’un nouveau monde, sur la toile immense. Sans horizon.  

Mais pas sans concurrents ni sans écueils . Très vite les GAFA lancent leurs filets sur le web. Ils raflent tout sur leur passage, captent et retiennent dans leur sillage l’attention de millions d’amis, dépouillant en moins de dix ans tous les journaux des deux mamelles qui faisaient la fortune de leurs éditeurs: la pub et les lecteurs.

Vous connaissez l’histoire, mais pas sa fin. La reconquête s’avère rude.

Les blogs hébergés par la Tribune n’ont pas rapporté grand-chose, tout juste un succès d’estime local et un arrêt historique du Tribunal fédéral.

Pour les lire tous les jours et en publier une revue six à sept fois par semaine, j’y trouve souvent des réflexions qui valent bien - oserais-je le dire - celles de nos éditoriaux… Il y a aussi les trolls, les fake news, parfois fabriquées de toutes pièces,  plus souvent bêtement recliquées. C'est là que tout un chacun doit acquérir la posture et le réflexe du journalisme: le doute et ne rapporter que ce qui est fondé sur des sources fiables.

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Ce 1er février, la Tribune a 140 ans. Chacun se demande j’en suis certain: Dans quelles conditions fêtera-t-elle ses 150 ans en 2029? Nul ne sait. Mais une chose est sûr, plus que jamais l’information est et restera un besoin fondamental, un métier, une éthique.

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Mais Stop j’ai trop causé…

Chacun l’aura compris. J’appartiens à cette espèce en voie d’extinction des travailleurs qui cessent leur activité à l’heure dite, la caisse de retraite pleine, sans jamais avoir pointé au chômage. Est-ce ma dernière chance? Le rêve des 30 glorieuses figure-t-il dans les livres d’histoire des écoliers genevois?

Je tire ma révérence, je vous remercie de m’avoir supporté, bousculé, toléré, aimé peut-être. J’emporte plein de souvenirs que ma timidité m’empêche d’évoquer. Je vous aime tous très fort. Je vous souhaite - c’est un pluriel - les plus beaux des avenirs.

Santé à toutes et à tous!

 

* Mais aussi quelques heureuses réalisations dont la Commission d'évaluation des politiques publiques 

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