Dieudonné à Genève: le non de Brunschwig Graf (01/03/2018)

MBG Veyrier tressera.jpg"Je ne partage pas l'humour de Charly Hebdo mais il s'agit bien d'humour. Rien n'est moins sûr dans le cas de Dieudonné."  Pour l'ancienne ministre genevoise de l'Instruction publique, présidente depuis six ans de la commission fédérale contre le racisme *, les premiers - les journalistes tombés sous les balles des terroristes - ont toujours fait la part des choses entre leur verve corrosive contre les religions, toutes les religions, et leur posture politique clairement libérale et démocratique.

Dieudonné, estime l'ancienne magistrate PLR, ne fait pas ce genre de distinctions. Ses propos n'ont pas cette distance qui permet de qualifier son spectacle d'humoristique. Il ne se distancie pas de ceux qui se servent de ses tirades à des fins haineuses.

Bref, pour Martine Brunschwig Graf, "on peut rire de tout, mais tout dépend de l'intention." Le propos d'affiche sur un écran dans la pénombre de la vieille salle communale (cliquer sur l'image pour l'agrandir).

Les autorités genevoises doivent-elles interdire le prochain spectacle que l'humoriste français controversé a annoncé à Genève le 11 mars prochain? Devant une cinquantaine de personnes réunies mercredi soir à Veyrier par l'association Tessera, l'ancienne élue n'a pas tranché. Mais on a bien entendu entre les lignes que ces autorités seraient bien inspirées d'appliquer les lois sans crainte. 

L'affaire du voile des enseignante

Comme MBG l'a fait quand, a-t-elle rappelé, elle a interdit le port du voile aux enseignantes, allant jusqu'à Strasbourg, devant la Cour européenne des droits de l'homme, pour obtenir un soutien définitif. Une décision qui fait jurisprudence depuis 1995.

"Nous n'avons qu'à appliquer l'état de droit avec courage. Nos institutions accordent des droits mais aussi imposent des devoirs aux gens", rappelle la politicienne genevoise. "Il faut trancher, c'est notre responsabilité, poursuit-elle, quitte à aller devant les tribunaux." MBG rappelle le flou alimenté par la décision des autorités bâloises de demander un avis de droit dans l'affaire des jeunes qui avaient refusé de serrer la main de leur enseignante.  

Droite dans ses bottes. Cette posture semble guider la présidente de la commission contre le raciste qui préside aussi l'association pour la prévention de la torture ainsi que de la Manufacture, la haute école supérieure de théâtre à Lausanne (ce qui vaut bien un coup de chapeau!).

Va-t-on interdire le chiffre 88?

MBG n'a pas vraiment fait mention d'états d'âme dans sa fonction de chienne de garde de l'article 261 bis du Code pénal suisse. Certes, elle ne cache pas l'amertume provoquée par la décision du TF de relaxer les nazis qui avaient fait le salut hitlérien sur la prairie du Grütli au prétexte que leur réunion n'était pas, aux yeux des juges, "une manifestation publique". Elle dit son malaise face aux extrémistes de droite qui flirtent avec les limites. Mais elle sait que l'interdiction des symboles tel que la croix gammée ou Mein Kampf est d'une portée limitée. Ces gens se comprennent par langage codée. 

Savez-vous, dit-elle encore, que 88 est un symbole nazi? Le h est la huitième lettre de l'alphabet, 88 fait référence à Heil Hitler. Va-t-on interdire le 88?

Citation lu sur www.brunschwiggraf.ch

Citation lue sur www.brunschwiggraf.ch

Le combat contre la peste est affaire de vigilance. Ces derniers jours encore, elle dit avoir porté plainte contre les jeunes UDC bernois qui par voie d'affiche s'en prennent aux gens du voyage. Statistiques à l'appui, elle démontre où se nichent les discours haineux: sur le lieu de travail, à l’encontre des nomades, principalement. 

Que faire? Pour la conférencière, on peut désamorcer bien des situations par l'écoute et la médiation. Les cantons s'y emploient. MBG dit qu'elle est intervenue, elle-même, une centaine de fois dans les médias l'an dernier. Les tribunaux condamnent bon an mal an 30 à 40 personnes au titre de l'article 261 bis, la plupart du temps à des jours amendes. 

A Veyrier, le public est acquis. Ses questions ne sont pas trop intrusives. Il n'a pas été pas question d'Israël ni de ceux qui ont tendance à qualifier d'antisémitisme toute mise en cause de la politique de l'Etat juif. Il n'a pas été question non plus de l'afflux récent des migrants qui a pu être perçu par certains des plus pauvres parmi les Européens, y compris par les avant-derniers arrivés, comme une concurrence sur le marché des aides sociales. Il n'a pas été davantage question de l'impérialisme occidental, direct ou indirect, grand défenseur des droits humains et de la démocratie par ailleurs, mais qui perpétue une forme de domination sur nombre de populations tenues en laisse par leurs propres dirigeants. Et qui voient tous les jours sur leurs smartphones le fossé se creuser entre les riches et les pauvres.

Bien sûr cela ne justifie en rien la xénophobie et le racisme et ne doit pas nous faire oublier que "le racisme n'est pas une opinion. En Suisse, c'est un délit, dès que l'acte ou la parole est publique." Une citation reprise par Yves Brun, président de Tessera. 

Au fait, Tessera a été créée pour défendre l'étalissement à Vessy d'un centre pour requérants d'asile. Au dernières nouvelles, l'affaire est renvoyée en 2020 ou plus tard. Au recours des voisins, s'est ajouté celui du département de Luc Barthassat lequel a découvert que le terrain prévu était redevenu en zone agricole et que l'implantation du camp pourrait poser des problèmes en regard de la politique de préservation des bords de l'Arve. Tessera a néanmoins décidé de continuer le combat. 

 

* On lira avec profit le dernier rapport annuel de la commission contre le racisme. Et l'on constatera que le crédit dont bénéficie la CFR, 194'000 francs, est bien faible par rapport à la tâche.

 

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