Les lecteurs éclairés selon Pietro Supino (12/01/2018)
Le Monde du 3 janvier a consacré une page aux nouveaux médias fraîchement nés ou sur le point de pousser leurs premiers cris. Sur Twitter, le fil que les journalistes préfèrent, on en trouve une bonne douzaine de ces nouveaux journaux qui tous promettent de montrer aux vieux médias qu'on peut à la fois faire du bon journalisme (ce sont les professionnels qui fixent les critères de qualité) et vivre grâce aux abonnements de lecteurs éclairés. Si tel était le cas, le Courrier de Genève qui souffle 150 bougies cette année (ici et là) et vit depuis sa quasi faillite dans les années 70 grâce à la perfusion continue de lecteurs plus éclairés (et surtout plus aisés) que d'autres, serait florissant.
A propos de lecteurs éclairés - entendez un lecteur formé, citoyen, conscient du coût de production des nouvelles, celles qui ont du poids, lestées de faits, d'analyses, de données, de témoignages éprouvés sur l'enclume de la vérité, où le journaliste élimine les fausses interprétations tel le forgeron martèle le fer pour l'épurer de son carbone jusqu'à l'acier dur et tranchant. A propos des lecteurs éclairés donc, j'ai lu avec attention le discours de Pietro Supino à la fête des rois des éditeurs, dont son navire amiral, le Tages Anzeiger, a publié de larges extraits ce mercredi.
En bref, pour fabriquer des lecteurs éclairés prêts à dépenser 20 à 30 francs par mois pour s'abreuver aux meilleures sources sur le Net et le double ou presque pour lire son bon vieux journal en papier, le premier éditeur privé de Suisse parie sur la formation aux médias de la population, sur la connaissance des conditions de production et des critères de qualité.
Evidemment, ce plein de Medienkompetenz présuppose un intérêt au système des médias, au système politique et aux relations qu'ils entretiennent entre eux. Il appartient, dit Supino, aux journalistes, mais aussi à l'éducation de susciter et de cultiver cet intérêt. Le Lehrplan 21 (l'équivalent suisse-alémanique du plan d'étude romand) a beau prévoir l'enseignement de l'esprit critique, il n'est pas bien servi par la littérature pédagogique, estime l'éditeur zurichois.
Créer des journaux de classes est une expérience formidable, mais on ne peut pas exiger des profs qu'ils soient des professionnels des médias. A chacun son métier. Rien ne remplace l'expérience avec de vrais professionnels des médias. Et le patron de Tamedia de proposer d'ouvrir les portes des rédactions afin que les lecteurs éclairés en herbe éprouvent ce que ça signifie de produire de la bonne information. Nos portes sont ouvertes. Nos journalistes sont à disposition.
Il faut donner à ce projet la plus haute des priorités conclut Supino qui invite ses collègues éditeurs à se mettre autour d'une table pour accorder à cet objectif toute sa valeur.
What else?
L'idée n'est pas neuve mais elle intervient forcément à propos. Si l'Etat veut soutenir vraiment les médias, qu'il participe bien plus intensivement à la formation de citoyens éveillés et critiques et non de consommateurs passifs. Mais surtout qu'il ne dicte pas aux journalistes et aux éditeurs comment ils doivent faire leur métier.
Ma petite expérience me dit que ce n'est pas gagné
Il m'est arrivé de consacrer presque une semaine à la création d'un journal dans une classe d'un cycle d'orientation (CO Vuillonex). Nous y avions fabriquer un journal que la Tribune avait imprimé. Un gros investissement. Mais les élèves, 12-13 ans, étaient trop jeunes, à mon avis, pour en garder le souvenir et devenir des lecteurs éclairés.
Depuis que j'anime la plate-forme des blogs, j'ai tenté à diverses reprises d'intéresser des professeurs à créer un blog de classe, sans jamais éveiller l'intérêt du DIP. On peut retrouver quelques traces de cette aventure ici, là, là et là.
Quant aux visites de la rédaction par des classes d'école que j'ai aussi largement pratiquées, elles se sont raréfiées. C'est, me disent les enseignants, que le temps est compté, la procédure d'autorisation s'est alourdie et que le principe de précaution s'appliquant aussi sur le chemin qui mène de l'école au journal ont rendu l'aventure pratiquement hors de portée.
Sans compter que si l'on voulait servir ne serait-ce qu'un degré du cursus de la formation, le nombre des journalistes actifs n'y suffirait pas.
Face à la puissance distractive des réseaux sociaux, des jeux en ligne, des loisirs de toute sorte, il faudrait pouvoir offrir des formations à la citoyenneté d'une toute autre nature.
La stimulation du cerveau
J'en ai eu l'intuition ce midi en visitant rapidement le Campus Biotech de Genève. On y conduit des expériences de toute nature sur le cerveau, sur ses capacités sensorielles, cognitives, mémorielles, agissantes, inventives etc. C'est encore de la science fiction. Mais tout comme l'on peut calmer certains syndromes du Parkinson en stimulant des électrodes implantés dans le cerveau, on pourra sans doute stimuler les zones d'apprentissage et d'acquisition de compétences. Pour le meilleur en fabriquant des super-citoyens grands consommateurs de média de qualité et pour le pire en super-employés ou en super-soldats fidèles à leurs missions.
22:23 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
La presse commence à coûter cher pour ce qu'elle offre. 24 heures est passé à 4 frs avec de moins en moins de pages, et surtout de journalistes dignes de ce nom. Un ami journaliste m'avait indiqué que le rédac'chef le regardait de travers, en laissant entendre qu'avec son salaire, il pourrait engager deux jeunes journalistes. Et visiblement, c'est ce qui s'est passé. Le résultat ? Une anecdote, l'autre jour. On parle de BD à la téloche, et le journaliste parle de Blueberry comme d'un cow-boy...
Il existe donc une personne sur Terre qui ignore que Blueberry était un lieutenant de cavalerie, dont on voit la tunique bleue dans de nombreux épisodes. Et comme par hasard, cet inculte est journaliste. J'ai des dizaines d'exemples de ce genre, mais je ne me suis pas mis à les noter. Je vais m'y mettre...
Écrit par : Géo | 13/01/2018
Voilà, il n'aura pas fallu attendre trop longtemps. En ce moment-même, sur la Première de la RTS, une émission sur Alexandra David-Néel, nom que ces incultes, y compris celle qui se prétend la spécialiste de, prononce David-Neel, comme si c'était un nom anglais (donc Nil, pour les durs à la comprenette).
Sur la chaîne "Toute l'histoire", beaucoup d'émissions sur WW II. Les noms allemands sont prononcés à l'anglaise. Albert Speer devient aussi, comme Néel, Spir...
Il s'agit d'émissions culturelles. Je ne vous dis pas les autres...
Écrit par : Géo | 13/01/2018
Il faut se demander quelles sont les motivations du quidam moyen. S`il y a de moins en moins de lecteurs de journal, c`est peut-etre bien par manque de motivation, puisque temps et argent a disposition ne sont pas moindres que quand presque tout le monde lisait le journal. Qu`en pensez-vous?
Écrit par : jean jarogh | 13/01/2018
Pas d`idées? Pourtant, souvenez-vous, beaucoup lisaient leur canard préféré dans les transports publics. Maintenant, on tripote son portable et pas pour lire le journal car le format réduit ne se prete guere a la lecture de l`information écrite. On lisait aussi beaucoup le journal au café ou au resto. On le fait toujours mais bien moins car, la aussi, le portable sort volontiers des poches. Alors que faire? Une piste serait peut-etre de sonoriser une partie du journal, puisque la plupart utilisent de toute maniere leur portable avec les écouteurs. En tout cas, si l`on veut sauver la presse écrite, il faudra se triturer les méninges car ca ne se fera pas tout seul ni meme probablement sans couts supplémentaires.
Écrit par : JJ | 13/01/2018
Merci pour la censure. Cela vous rend fier de vous ?
Écrit par : Géo | 15/01/2018