Le Courrier... de Fribourg? (25/11/2017)

motion mettan 2411.jpgLe Courrier a été pendant plus d'un siècle le fer de lance des catholiques à Genève. Il était pour beaucoup le journal du Parti indépendant chrétien social et des Syndicats chrétiens, du Mouvement populaire des familles, bref la voix des migrants économiques (parfois politiques?) qui débarquaient en nombre des cantons catholiques dans la Genève protestante.

Le prestigieux Journal de Genève était, lui, l'organe inofficiel des libéraux, tout comme la NZZ se réclame aujourd'hui encore du courant de pensée incarné par le PLR. Le journal La Suisse était rouge pas seulement par sa couleur. Quant à la Tribune de Genève, fondée en 1879 par un colonel américain qui voulait donner à la ville un journal non partisan, elle était associée au plus grand parti qui avait fait la république, le parti radical, aujourd'hui disparu, bien qu'un de ses éminents rejetons siège pour quelques mois encore à la présidence du Conseil d'Etat genevois. 

Hier après-midi, François Longchamp s'est donc fait l'ardent défenseur de la Tribune de Genève et s'est opposé  à la décision entrepreneuriale de son éditeur, le groupe zurichois Tamedia, de délocaliser ses rubriques Monde, Suisse, Economie et Sports à Lausanne. Quatre cinquième du parlement genevois ont voté la motion Mettan (un ancien rédacteur en chef de la Tribune) non sans l'avoir émasculée en commission.

Ainsi va Genève.

Aujourd'hui, la Suisse a disparu. Elle a sombré des suites des aventures technologiques et financières (Radio Mont-Blanc, le minitel suisse, la TV satellite) de son éditeur, l'alors flamboyant Jean-Claude Nicole, incapable de s'entendre avec la société éditrice de la Tribune pour créer un centre d'impression commun à Genève.

nq edipresse rachete la tribune 15 nov 1991.jpgFaute d'avoir un véritable et fortuné patron de presse à sa tête, la Tribune s'était déjà vendue en novembre 1991 au groupe Edipresse de Lausanne (famille Lamunière) qui possédait déjà la vénérable Feuille d'avis de Lausanne, devenu 24 Heures et la Tribune de Lausanne, devenu Le Matin. La Suisse était pourtant le premier quotidien de Suisse romande. Elle avait su sortir des frontières cantonales pour aller taquiner les  journaux locaux et jouer la diversité des opinions. 

Puis c'est le Journal de Genève qui disparu en 1997. Il avait avalé la Gazette de Lausanne au printemps 1991. Mais les banquiers privés genevois qui finançaient l'aventure n'avaient plus le coeur à l'ouvrage. Une nouvelle génération était au pouvoir. Voyait-elle déjà les disruptions financières et technologiques qui allaient bouleverser leur secteur d'activité et tous les autres? Il fallut se résoudre dans la douleur et une fière résistance rédactionnelle à fusionner avec l'adversaire qui avait précipité la chute, Le Nouveau Quotidien, créé par Edipresse en 1991. Le Temps est né le 18 mars 1998, détenu à parts égales par Edipressse et Ringier. Ringier, l'éditeur du défunt Hebdo et de l'encore prospère Illustré, appartient pour partie à l'éditeur allemand Axel Springer. Il rachète Le Temps en 2013, migre sa rédaction à Lausanne en 2015 et la restructure en 2017. 

Quant au Courrier de Genève, en panne de moyens et voyant lui aussi son lectorat fondre tranquillement, il est allé cherché sa survie à Fribourg, où règne la Liberté, un quotidien édité par le Groupe St-Paul et longtemps dirigé par la congrégation religieuse des Sœurs de Saint-Paul. Ce rapprochement était naturel pour un journal encore proche de l'église catholique genevoise (jusqu'en 1996, date du divorce), mais qui avait pris ses distances avec le Parti démocrate-chrétien, lequel s'était embourgeoisé et avait coupé les ponts avec les Syndicats chrétiens, devenus SIT, le MPF ou encore le Rassemblement pour une politique sociale du logement, désormais solidement ancrés à gauche. Depuis des lustres donc, ne reste à Genève que la rédaction locale du Courrier de Genève, les pages Monde Economie Suisse et quelques autres sont toutes fabriquées à Fribourg par des Fribourgeois. 

rapport motion mettan m2411.jpgVenons-en pour terminer à la motion Mettan. Comme l'indique clairement le rapport de la commission publié le 7 novembre, la majorité du Grand Conseil a décidé de biffer deux des quatre invites adressées au Conseil d'Etat.(Voir les votes en cliquant sur l'image ci-contre ou en consultant le rapport page 18)

Conclusion un peu triste. Voilà une génération que les capitalistes de ce canton se désintéressent de la presse. Quant aux initiatives de coopérative ou de crowdfunding, elles ne produisent que des médias qui végètent.

Reste l'Etat et les contribuables qui se manifestent par des abonnements et des encarts d'offres d'emploi. Faut-il aller plus loin et envisager des encarts publicitaires pleine page comme les grandes régies françaises le font dans les quotidiens hexagonaux également exsangues, financer l'innovation ou la formation, introduire une redevance obligatoire pour les journaux à l'image de celle qui fait vibre la SSR?

Peut-on encore imaginer un projet de fusionner de la Tribune (rachetée à Tamedia) avec la Feuille d'Avis officielle (réduite à sa version électronique par le Conseil d'Etat en 2106), qu'un projet de loi interpartis (PL12086), emmené par le député Vincent Maître, veut voir renaître en bon papier et bonne encre? 

A suivre

 

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