Sonia Zoran, l'empathie et le format long (18/11/2015)
(…) Tu nous as donné avec Eclats de Méditerranée d’être moins bêtes, moins ignorants sur ce qu’on appelle la crise des migrants. Dans le Temps, tu as très vite rédigé des éditoriaux dont un - il y a longtemps déjà - sur les deux nationalismes qui s’affrontent en ex-Yougoslavie une thèse qui en très court contenait ce que tu aurais sans doute écrit dans ta thèse que tu n’as pas composée, faute d’avoir trouvé un accueil éveillé à l’Université où un professeur avait jugé le sujet du nationalisme sans avenir. « Et ça fera mal », concluait cet édito prémonitoire. Ton écoute des autres déjà t’avait donné les clés de l’actualité. A la Radio, Frank Musy t’a aidé à faire du Sonia Zoran, un ton, un son, où derrière le je on entend le nous.
Les archivistes de la radio ne savent pas trop dans quelle case te mettre, dit encore Anal Lietti à qui le comité du prix Jean Dumur avait confié ce jour l’éloge de la lauréate 2015. Tu n’es pas dans le segment information mais dans les programmes où tu dis te bien trouver. (…) Et tu désires, comme nous, qu’on te dise au retour d’une immersion, «Raconte», plutôt que «Combien tu veux» quand ce n’est pas «Tu as 3000 signes».
«Regarde ce que les gens mangent et oublie l’angle.» Sonia Zoran cite Bertil Galland dans ses remerciements. « J’ai un côté chèvre de Monsieur Seguin… » Elle associe les techniciens de la radio qui ont l’oreille du ton juste, du prolongement musical pertinent. Et puis, l’actualité s’impose: «J’utilise le Je non pas pour dire Nous mais pour fuir le Nous. Car le Nous, ajoute cette Vaudoise qui en a l’accent à peine, renvoie au Eux, les migrants, les Arabes stigmatisés, mais aussi cette homogénéisation qui nous guette et nous menace.» Elle ne dit pas purification ethnique, une actualité qu’elle a éprouvée dans ses Balkans d’où elle vient à moitié.
Zoran, l’empathique et le format long. Un modèle pour les jeunes journalistes que le @CFJM_CH forme dans les bâtiments où le Prix Jean Dumur a été remis, mais où aussi l’on forme les communicants, les publicitaires ? Sans doute avec sans doute des bémols. Raconter la vie des gens, de l’âne et du figuier, dire le temps qui passe, les souvenirs heureux et moins heureux, le bleu de notre mer, ses 500 millions de riverains, les 20 pays qui la bordent et dont certains sont en guerre, Lampedusa, les îles grecques, les plages turcs où les migrants meurent… L’actualité en contrepoint de l’éternité. Quelles ont été les taux d'audience d'Eclats de Méditerranée diffusés du 29 juin au 23 août 2015?
Les migrants, le photojournaliste Jean Revillard, plusieurs fois primé, en a fait sa cible. L’image #alanKurdi - l’enfant mort sur la plage – restera-t-elle dans l’histoire comme une icône. Non estime-t-il, cette image tirée d’un vidéo a été montrée sous différents angles. Et d’autres enfants sont morts sur cette plage et sur d’autres. Cette image va disparaître des consciences. Elle est certes secoué les conscience, choqué. Mais, à l’heure des réseaux sociaux, Revillard pense qu’on ne peut plus créer des icônes.
Les médias en ont-ils fait trop, demande Eliane Baillif ? Robin Stünzi a dénoncé une hystérisation dans le temps. L’usage des mots afflux, vague, flot , pousse à l’homogénéisation, à oublier que ce sont des gens, des êtres humains. Serge Gumy, rédacteur en chef de La Liberté, admet que les médias et le nombre de papiers publiés ont pu contribuer à un climat qui a développé des peurs dans la population.
Immergée pendant plusieurs jours pour la RTS entre Serbie et Hongrie, Isabelle Ducret a été confrontée à des drames humains. Les migrants ne lui ont rien demandé sauf le chemin pour l’Europe. Les gens ont des téléphones portables mais ont toujours besoin de confirmation d’une source fiable. Elle dit avoir gardé la distance journalistique mais reste en contact avec une fille de 14 ans, actuellement à Stuttgart.
De la RTS aussi, Nicolae Schiau reconnaît, lui, qu’il est devenu pote des migrants rencontrés durant ses trois semaines d’immersion. On est d’abord des êtres humains, abonde Sonia Zoran, vétéran des Balkans.
Pour Guy Mettan, les journalistes négligent le sens et restent trop à la surface, dans l’écume. Pourquoi le terrorisme a-t-il frappé Paris ? Ca ne semble pas intéresser les journaux ? L’action des Américains ou des Russes a fait plus de morts en Afghanistan ou en Syrie. Jamais on ne désigne les vrais coupables. Et l’Arabie saoudite, les Qataris et les autres, quelles sont leurs responsabilités ? A-t-on bien désigné tous les coupables ? Dans le public Jacques Pilet abonde et tient des propos sévères pour Le Monde inféodé au Quai d’Orsay.
Il est vrai convient Sonia Zoran que parmi les six questions du journaliste le comment et le pourquoi sont laissés au registre du commentaire. Pourquoi la Suisse paraît-elle en peine d’accueillir aujourd’hui moins de migrants des Balkans qu’elle a reçue il y a 20 ou 30 ans ? Personne n’évoque les contraintes budgétaires dans lesquelles sont les médias.
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