Dernière leçon du premier éthicien de Suisse (06/11/2015)

image.jpegAlexandre Mauron fut un pionnier en bioethique en Suisse. On lira avec grand profit les principes qui ont guidé son enseignement sur le site de l'Université de Genève. Il a donné ce midi sa dernière leçon au Centre médical universitaire de Geneve. Une leçon en demi-teinte qui n'a fâché personne.

Qui oserait critiquer Darwin? Qui oserait critiquer la recherche sur les OGM? Qui oserait ne pas dénoncer le créationnisme? On était entre gens de bonne compagnie et personne n'a mis le bon Alex sur le gril.

J'aurais préféré quelques considérations plus audacieuses et plus actuelles sur le CRISPR, par exemple, ces molécules ciseaux capables de copier coller et donc de remplacer des bouts d'ADN au cœur des cellules. Et aussi entendre quelques propositions propres à confondre les dénistes.

 

 

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Le changement climatique est un fait prouvé. Pourtant on trouve encore des dénistes, dit Mauron, qui s'en inquiète  (et pas des dentistes comme s'évertue à me proposer mon correcteur orthographique). Déniste, une francisation du mot anglais denialism, bref des pros du déni, qui donc selon Mauron se multiplient et dont la multiplication mettrait la société en danger. C'est son postulat.

Les créationnistes sont des dénistes, d'autant plus inquiétants qu'ils sont passés de l'affirmation d'une foi à une présentation pseudo scientifique qui prétend être enseignée concurremment au darwinisme. 

Sous prétexte de liberté, des milieux, également intellectuels, refusent de vacciner leurs enfants contre la rougeole.

Les dénistes ont-ils des traits communs? Oui, ils prennent leur désir pour la réalité, les preuves qu'on leur apporte ne sont jamais suffisantes et ça va jusqu'à l'agnotologie, le discours sur l'ignorance.

Le Créationnisme est une vieille querelle. En 1925, au Tenessee, un enseignant à été poursuivi pour avoir enseigné la théorie de Darwin (procès du singe). En 1960, les milieux conservateurs ont créé le Créationnisme scientifique, un changement profond puisqu'on opposait non plus un texte révélé à la connaissance scientifique mais deux connaissances scientifiques concurrentes. On échappait ainsi au reproche de prosélytisme religieux. Aujourd'hui le Créationnisme est répandu partout et se répand aussi dans les professions médicales et techniques. 

 Ce n'est pas le souci de la vérité factuelle qui anime les créationnistes, mais une sorte de principe moral. Si Dieu n'existe pas, la morale n'a pas de fondement. Si la science dérange mes intérêts, mes convictions, ma conception du monde, alors la science est fausse. Le fait de l'enseignement de la science creationniste sur un pied d'égalité avec la science orthodoxe relève aussi du principe de neutralité très en vogue aux États Unis mais dont Mauron n'en parle pas.

La croyance que l'argent explique tout et motiverait le dénisme est aussi une forme de superstition, pense Mauron. On peut le démontrer dans le cas du déni du réchauffement climatique. Il y a de l'amertume chez certains dénistes qui ont trouvé là, pense-t-il, une nouvelle cause à défendre ayant perdu la défense du communisme et le déni du totalitarisme meurtrier soviétique. Les voilà à nouveau comme des héros seuls dans le vrai, à combattre la science officielle. 

On retrouve la même mécanique dans l'opposition aux vaccins. Une flambée de rougeole en Californie et le renforcement de la vaccination a déclenché une polémique, notamment au sein d'une classe supérieure particulièrement attachée à la liberté individuelle. Protectionnisme, crainte de l'autre, individualiste, c'est l'idéologie de "Mommy Knows Best" (maman sait mieux) qui prend le dessus. 

Cette montée de l'obscurantisme déferle sur notre société. La lutte contre les recherches OGM participe du même ressort. 

Dans La démocratie des crédules, Gerald Bronner relève la relation troublée entre le peuple et les experts. L'agnotologie selon Robert Proctor fleurit, presqu'un culte de l'ignorance. Tout cela débouche sur le principe de précaution qui dans sa version absolue empêche de faire quoi que ce soit tant qu'on n'a pas convaincu les derniers dénistes ou sceptiques nihilistes, ce qui est pratiquement impossible. 

Au fond, le scepticisme nihiliste est le contraire du scepticisme scientifique, la différence tient au fait que le second est ouvert et cherche à dépasser le scepticisme, mobilisateur en soi, par une organisation rigoureuse de la recherche. Certes mais Mauron aurait pu aussi faire le sua culpa de la science dominante qui est toujours menacée de se poser en seule et ultime vérité. Et qui en réduisant le monde aux équations participe à son désenchantement.

Le déniste est donc un problème d'éthique de la connaissance, dit Mauron. Notre société est sans doute trop respectueuse de la conviction sincère de chacun et tend donc à accorder une valeur même au dénisme. 

Cependant le dénisme menace la démocratie car il fait obstacle à la prise de mesure nécéssaire au bien commun par les autorités. Vrai pour le tabac où l'action des industriels a sans doute retardé la mise en place de mesures de santé publique, faux pour l'OGM où Mauron ne voit pas en quoi l'action d'empêcher la recherche améliore en quoi que ce soi cette même santé publique. 

 

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