A Milan, la Suisse n'existe pas (12/06/2015)

Quelques cubes de sel, des milliers de portions de Nescafé dans des boîtes en carton alignées sur des étagères en fer, un seul robinet et plus de gobelets dans la troisième tour, plus un sachet de pommes séchées dans la quatrième. Sur les rayonnages vides quelques mots du catéchisme minimaliste des concepteurs savants du stand suisse de l'Expo de Milan: développement, équilibre, solidarité.

Les marathoniens - une foire est toujours un marathon - redescendent les quatre étages de la structure de béton de métal et de verre obscurcie par des rideaux gris (et climatisée comme tous les autres pavillons, bien moins conceptuels mais bien moins intelligents aussi) comme ils sont montés, empaquetés dans ascenseur Schindler. On se demande comment la puissante Union suisse des paysans a pu se laisser embarquer dans une aventure qui (dé)montre, comme à Sevillle en 1992, que La Suisse n'existe pas ou n'existe que sous forme de prêchi-prêcha. Ce qui, à l'aune de la cinquantaine de stands visités, parfois juste traversés, est plutôt un compliment.

L'Expo de Milan ressemble un peu à ces magazines de plantes et de jardins, plus promotionnels qu'exigeants, couverts de belles images de denrées alimentaires prises en gros plan, de videos juteuses et de discours entendus. Il lui manque ce nerf éditorial qui fait des idées et des projets jetés en vrac sur le marbre d'une rédaction un produit pensé, tendu, sélectif et critique.

Que donne à voir et à penser l'Expo de Milan? Car pour ce qui est de sentir, de toucher et de goûter, Tintin, ces sens doivent se contenter des fast food ordinaires. Le restaurant suisse est une cantine sans âme qui sert une bonne fondue présélectionnée pour le fun sur une tablette débranchée, tandis qu'un écran débite en sulence des paysages ripolinés de Heidiland. Les seules cloches qu'on entendra tintinnabuler sortent de cet incroyable tableau à la Tinguely où l'on suit une boule en acier rouler sur des pentes en fer, descendre et remonter d'un cliché suisse à un autre dans un mouvement perpétuel qui attire plus qu'il ne fascine le chaland.

On sort de Milan, vers 23 h, les jambes fatiguées, la tête façon kaléidoscope. L'alimentation qui est le fil conducteur de l´Expo mondiale 2015 nous laisse la bouche pâteuse un peu comme al'issue d'un grand banquet où l'on a un peu trop bu et mangé. On sort et on se dit. Tiens mais où sont les paysans? Dans aucun stand que nous avons visité, ils ne sont présents.

Nulle part ne sont évoquées leurs précaires conditions de travail, leur salaire de misère - la nourriture doit rester bon marché et la moindre pénurie ou le moindre excédent font monter ou descendre les prix sur ces marches inélastiques. On n'enend pas leur peine dans la solitude des campagnes ni ne voyons leur sueur perlé sous la morsure du soleil. L'Expo est abritée sous d'immenses bâches qui recouvrent les deux artères immenses le long desquelles s'accrochent les pavillons des  grandes nations riches et ceux des narions pauvres regroupés par thème: les fèves de café et de cacao, les épices, les tubercules...

À suivre 

 

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