Vieux grimoires, vieux manoir. Nos mémoires. (26/04/2015)

IMG_6969.jpgÉtrange et stimulante installation que celle d'Alain Pittet. Le Genevois était invité ce 25 avril chez un non moins étrange et expert Genevois, émigré aux confins du Grand-Genève - encore qu'on soit partout à Genève, puisque l'esprit souffle où il veut, n'est-ce pas! C'était donc sur les hauteurs de Morges, là où le gros de Vaud hésite encore entre la vue sur le lac et les premières ondulations alémanes. Au château de Saint-Saphorin sur Morges, usé comme le sont les veilles dames qui n'ont plus les moyens de s'entretenir, mais gardent une fière allure et que les rides mêmes embellissent.

Alain Pittet est notre voisin. On le savait peintre à ses heures. On ne le connaissait pas entiché des grimoires et d'une aisance légère et mystérieuse à les torturer, quand, hors d'âge et oubliés, ils dorment  sur des rayonnages de bois jaunis ou demeurent, sans voix, empilés dans la promiscuité de prisons en carton, donnés à de bonnes œuvres ou en quête de curieux égarés, qui peut-être feuillèteront leurs pages qu'aucun oxygène n'a ravivé ni aucun regard n'a parcouru depuis des lustres, que dis-je des siècles.

Alain Pittet a disposé des pages de vieux grimoires de XVIe XVIIe siècles. Des traces de mémoires. Il parle des tissus que des inconnus ont malaxés jusqu'à la consistance de la pâte à papier. Première transformation d'une matière à qui il veut donner une nouvelle vie.

Qu'y voir, outre la teinte de la corne?

Le papier garde la trame de l'habit. Et donc de l'homme qui l'a porté. Alain Pittet regarde une page dans la lumière de la fenêtre pour le révéler. Et s'émerveille du garamond qui donne aux lettres leur forme.

Ici, les pages sont collées en un drap qu'on a élevé au plafond et qui se réfléchit sur une sol de zinc. Là, elles ont été pliées soigneusement, comme les plis d'un cerveau, plus loin, elles ont été chiffonnées et pétries en briques qui tiennent dans la paume de la main et bâtissent un mur. Que reste-t-il d'un livre quand on l'a lu? Seuls ceux qu'on a relus et relus, les contes de notre enfance, la bible, affleurent sans peine de notre mémoire.

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Au milieu de la pièce, des papillons découpés dans les pages s'envolent. Figurent-ils eux aussi nos souvenirs évanouis? Dans l'escalier, quelques livres s'illuminent, empruntant au XXIe siècle des techniques pour se distinguer de la masse. Deux enfants dans la pièce voisine pianotent sur un ordiphone sous le buste moqueur d'un Voltaire coiffé d'un bouquin. A droite un autre tableau d'Alain Pittet affiche WAY en gros caractère. Voie. Y en aurait-il qu'une?

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Au rez inférieur de la bâtisse - elle est du genre qu’affectionnent les fantôme furtifs - un grand cube couvert de tavillons de papier occupe le centre du salon. Une porte dérobée invite à y pénétrer. On s'assied dans un autre temps. La cabane est légère, diaphane. Les tavillons de papier flottent au moindre souffle. On contemple un globe tombant du plafond. "C'est un œil?", demande un enfant, qui saisit l'objet avec un appareil de photo plus gros que sa tête.

Au rez supérieur, dans la chambre du maître des lieux, un tableau qui dit I KNOW EVERYTHING ou I KNOW NOTHING - les femmes lisent plutôt cette seconde version, note Alain Pittet, songeur. Dans un coin, une souris de bronze. Le chat se cache dans le titre d'un autre grimoire abandonné à quelques pas dans le grand escalier.

La pluie tombe sur le village silencieux. Ce printemps est magnifique.

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