En finances publiques, 1+1 fait parfois 3 (21/11/2014)
"Si je vous dis finances publics, vous répondez..." Le réveil est difficile en ce mercredi matin pour la petite trentaine de stagiaires journalistes que j'interpelle à froid. "Chiffres" dit l'un, "ennui" dit un autre... ça commence bien, me dis-je. Équilibre ajouteun troisième.
Ah l'équilibre, le rêve des ministres des finances. Aussi impossible à réaliser qu'un budget base zéro...
L’équilibre des comptes est un piège. L'équilibre, c'est le slogan de ceux qui veulent contraindre l'Etat. A court terme, une collectivité publique doit viser le bénéfice. Sans bénéfice, elle s'enfoncera dans l'endettement ou stagnera, car en bonne comptabilité, le bénéfice est un élément clé et nécessaire au financement des infrastructures et des équipements. Problème, le bénéfice attise les appétits, celui des riches qui veulent moins d'impôts, celui des pauvres qui veulent plus de prestations, celui de la fonction publique toujours à l'affût d'un avantage et championne de la défense d'un service public qui sert surtout seras intérêts et pas toujours le bien commun.
Pour une raison qui en dit long sur l'idéologie qui se cache derrière les mots, le bénéfice est appelé en finances publiques suisses "excédent de revenus", ce qui en bon français veut dire qu'il faudrait les réduire. Symétriquement, le déficit se nomme "excédent de charges", ce qui est transparent sur l'action politique attendue.
On démontre sans peine que les communes riches qui entourent les villes centres sont en fait en insuffisance de charges, pour la bonne raison qu'elles contribuent généralement peu aux prestations culturelles ou aux équipements sportifs et de loisirs offerts par la commune centre, dont profitent tous les habitants d'une agglomération.
On peut tout aussi bien démontrer que des communes pauvres, qui n'ont pas la chance d'héberger quelques contribuables fortunés, lesquels préfèrent généralement s'implanter loin des usines et des HLM, sont en insuffisance de revenus, ce qui n'implique pas forcément une hausse d'impôts mais la mise sur pied d'une véritable coopération intercommunale, chose que les communes riches leur comptent chichement.
On retiendra de ce cours que je donne depuis bientôt 20 ans dans le cadre du Centre de formation des journaliste devenu depuis peu le CFJM, le Centre de formation au journalisme (il n'y en a qu'un) et aux médias (ils sont multiples), la toujours très faible connaissance des stagiaires en matière de mécanique comptable et financière et des enjeux politiques, économiques et sociaux qu'elle cache. Pas moins étonnant est leur conformisme récurrent, la difficulté qu'ils ont à penser le service public en termes de prestations et de valeur me sidère toujours.
Le système comptable des collectivités publiques se modernise lentement. Genève fait figure de pionnier dans l'application des normes internationales. Il y a été contraint par le poids de sa dette et l'obligation d'être noter par S&P pour rassurer ses créanciers. Le canton ne s'est en revanche converti que tardivement au budget par prestations, bien après les cantons alémaniques à la mode du budget par programmes. Tous restent encore très loin du compte par rapport à n'importe qu'elle entreprise privée qui connaît ses prix de revient et offre à ses clients un catalogue de ses services en indiquant le prix en face.
Et pourquoi 1+1 fait 3. Je ne suis pas économiste, mais on espère tous que ce que l'on sème produise un effet multiplicateur, non!
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Commentaires
Lire ce texte me rappelle les souvenirs des cours de l'an dernier, avec la présence de Pascal Broulis.
C'était très intéressant. Et c'est juste, la comptabilité n'est pas l'ambition première des journalistes.
L'essentiel, c'est que le vocabulaire a effectivement un poids culturel important. Comme le relève JFM, parler d'excédent de charges ou de revenus en dit long sur la volonté politique qui en résulte.
On cherche l'équilibre à tous crins, sans considérer que les bénéfices permettraient de financer une part des investissements dans le futur sans nécessairement recourir constamment à l'emprunt. L'endettement qui aujourd'hui est sur toutes les lèvres des Genevois et des Genevoises. Vivre à crédit, c'est possible pour une, voire deux générations. Les suivantes paient, et elles paient cher, quand l'inflation devient un ennemi mondial et quand bien d'autres charges fixes des ménages progressent encore plus.
Les années à venir sont sombres.
Écrit par : Grégoire Barbey | 21/11/2014
Cher Monsieur Barbey,
Je ne sais si le sujet est abordé sous cet angle dans le cours de M. Mabut, mais sachez qu'en cas d'inflation, ce sont les créanciers qui "paient" les dettes, par déperdition de valeur de leurs créances.
L'inflation est une mauvaise nouvelle pour les ménages, mais une bonne pour les débiteurs. Donc pour les ménages débiteurs et citoyens de collectivités endettées.
La lutte aveugle et en partie idéologique contre l'inflation profite d'ailleurs essentiellement aux créanciers, dont beaucoup, j'imagine, lisent votre journal.
Meilleurs messages.
Écrit par : Gilles Thorel | 21/11/2014