La libre circulation. Et si on la rendait visible et transparente! (08/03/2014)

Voilà un mois que les Suisses se sont, nous ressasse-t-on, mis au banc de l'Union européenne. J'étais alors en Inde quand le tremblement de terre démocratique est survenu. La secousse n'a pas fait vibrer le pays continent asiatique, que lézardent régulièrement des incidents communautaires. Un incident communautaire, c'est généralement trois ou quatre morts, une cinquantaine de masures incendiées et un lot de malheureux mal indemnisés dans ce pays où la coexistence entre les cultures prend parfois des allures de guerre de civilisation selon la formule de Huttington.

Dans la campagne électorale pour conquérir le pouvoir à Dehli, qui est désormais officiellement ouverte et se terminera le 16 mai par le prononcé du résultats de l'élection du parlement, les deux grands partis se renvoient des massacres à la figure, celui de musulmans en 2002 dans lequel le futur premier ministre de l'Inde, chantre de l'hindouisme militant, aurait trempé et celui de la reprise manu militari et meurtrière du temple d'or à Amristar, en 1984, par Indira Gandhi, la grand-mère de Rahul, le dandy philosophe qui affiche depuis deux mois sa belle gueule en noir et blanc sur des panneaux électoraux XXXL.

Revenons dans le pays continent européen. L'affaire suisse n'est certes pas anodine. Elle est révélatrice d'une crainte intercommunautaire, comme les analystes les plus clairvoyants l'ont souligné, la crainte du plombier polonais, de l'ouvrier chinois, du tailleur bengladhi, de l'informaticien indien, une crainte qui travers tous les pays du pays continent européen, où les travailleurs n'ont jamais voulu - on ne leur a pas vraiment posé la question - que la libre circulation des biens, des capitaux et des travailleurs rime avec une dégradation des salaires et des conditions de travail.

Les Suisses qui sont les seuls en Europe à disposer du droit démocratique de le dire, l'ont dit du bout des lèvres, comme un enfant qui sait qu'il sera puni, mais ose tout de même les yeux baissés, la main levée pour se protéger de la claque, dire ce qu'il a sur le cœur. Je n'ai pas voté pour cette issue, mais je trouve qu'elle a quelque vertu. À tout malheur quelque chose est bon, non?!

Reste à faire preuve d'intelligence, à affronter la nouvelle donne en puisant dans l'inventivité et à cesser de se lamenter comme un enfant que l'on prive d'une sucette.

On peut, certains l'ont proposé, reduire le garnement au silence, durcir le droit d'initiative et de référendum en augmentant par exemple le nombre de signatures, comme la Constituante genevoise l'a fait. Ce n'est pas la bonne solution. Ce serait se tirer une balle dans le pied.

Il convient je crois agir sur le marché du travail puisqu'il nourrit des craintes légitimes mais aussi les plus irrationnelles. Le principal défaut de ce marché, me semble-t-il, c'est sa non transparence. Toutes les offres, toutes les demandes d'emploi ne sont pas visibles en un seul lieu. On ne sait pas immédiatement comment se nouent les transactions et à quelles conditions. On ne voit pas où sont les points de frictions, les professions où la pénurie fait rage ou au contraire la demande est excédentaire. On n'a aucun signal du prix. Bref le marché si cher aux libéraux donneurs de leçon est défaillant parce qu'il manque de transparence.

Les média consacrent beaucoup de place à la météo. Des spécialistes scrutent le ciel et font tourner les ordinateurs les plus puissants du monde pour prédire le temps qu'il fera dans les cinq prochains jours. Et si on consacrait un dixième de cette débauche d'énergie intellectuelle et de cet art visuel à mieux voir de qui se passe sur le marché de l'emploi. Ne croyez-vous pas qu'on le régulerait mieux, sans recourir obligatoirement à des quotas?

Qui relèvera ce défi?

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