Jets de poivre au parlement indien (15/02/2014)

La campagne électorale en Inde ne démarrera officiellement qu'à la fin février, mais les esprits s'échauffent au parlement. "Honte pour le pays", démoncent les grands quotidiens qui sont imprimés simultanément par une bonne douzaine de rotatives à travers le pays, continent. Ils ne semblent pas connaître, pas encore, les affres de Libération, dont je suis la mort annoncée - mais combien de fois déjà le journal fondé par Sartre s'est-il réincarné?

Le sujet qui fâche et qui a conduit des députés à spayer au poivre quelque-uns de leurs collègues porte sur la création, débattue depuis des années, d'un nouvel État de l'Union, le vingt-neuvième: le Telangana.Ce territoire, grand comme presque trois fois la Suisse, compte plus de 30 millions d'habitants. Il doit être détaché de l'Andra Pradesh. Sa capitale, l'ambitieuse Hyderabad, conteste la suprématie de l'informatique à Bengalore et celle du cinéma à Bollywood, Mumbai.

Selon la dernière mouture du gouvernement qui veut faire passer sa "Bill" avant la fin de la législature, Hyderabad deviendra non pas un territoire fédéral à la manière de Dehli, mais la capitale des deux États. On mesure les enjeux politiques et économiques d'une telle entreprise en la comparant modestement au processus qui a conduit à la création du canton du Jura.

Héritage de l'empire anglais, la gigantissime avenue de la République à Delhi réduit le passant à rien, ce qui est un raccourci saisissant du poids du citoyen dans la démocratie locale. Puissance et de vacuité. L'ensemble, conçu dès avant la première guerre mondiale et resté inachevé faute de moyens après 1931, est borné par la porte de l'Inde, d'un côté, et, de l'autre, deux kilomètres plus loin, sur une élévation mineure, par les palais un peu mussolinien du gouvernement et la très altière demeure, aux pièces innombrables, du président de la République, lequel n'a pas plus de pouvoir que la reine d'Angleterre et rien de son lustre. Un peu plus loin, le bâtiment circulaire du parlement

Il manque de la hauteur, de la verticalité à cette place qui se perd dans les limbes On imagine un arc de triomphe gandhien, siège des ministères de la formation et la promotion des femmes et des minorités et des gratte-ciel à l'architecture audacieuse et un peu folle, comme on en trouve dans quelques villes des émirats ou dans ces villes champignons du sud-est asiatique. Cela siérait à cet ensemble, qui, de toute façon, n'est pas à dimension humaine. Mais l'Inde l'est-elle?

Elle ne l'est pas. À l'évidence. Pourtant son système politique continue de reproduire le système politique du colonisateur. Il ne paraît pas à la dimension des défis que ce pays doit relever. Mais par quoi le remplacer? C'est une des interrogations que reflètent peut-être les portraits songeurs et néanmoins géant de Rahul Gandhi.

Le modèle suisse de la démocratie directe paraît inconvenant, sauf à petite échelle. Le modèle chinois du centralisme démocratique paraît tout aussi inadapté, quoiqu'il donne à la Chine un dynamisme et une discipline qu'on cherche en vain dans le sous-continent. L'Inde n'a jamais vraiment été unie et ne possède une classe de fonctionnaires que depuis bien moins longtemps que l'empire du Milieu. Le modèle américain qui, grâce à un système électoral particulier, voit s'affronter deux partis seulement, séduit un intellectuel indien. Il y voit le seul moyen de sortir de la démocratie des barons locaux que sont certains élus et des coalitions variables propices aux marchandages. Mais comment le greffer dans un monde aussi différent?

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