Le Gruyérien du Lignon et le fils de la manœuvre de Khajuraho (01/02/2014)

Rocky n'a pas pu accéder à l'enceinte qu'une barrière de police protège des rabatteurs. Il nous attend patiemment. Le temps ne se mesure pas à l'aune européenne. L'ouvrier de la onzième heure qui a la chance de tomber sur un bon pote gagnera plus qu'un vendeur à la sauvette plus matinal mais moins fortuné. On mesure le travail en journées et la journée peut compter trois, six, neuf heures, c'est selon l'humeur, l'ouvrage à faire, l'air du temps et la volonté divine.

Marc Ansermod apprécie ce rythme incertaine, sans obligation manifeste. Voilà deux ans que ce Gruyérien, devenu Genevois, a découvert l'Inde et est tombé sous le charme d'un sculpteur. Haut comme trois pommes, l'artiste récupère des bois morts et en fait des Ganesh ou d'autres statues que lui inspirent leurs formes.

Sept ou huit mois par année, notre charpentier suisse, dont les ancêtres ont meublé le château des comtes, loue ses heures à une PME du Lignon, le reste il le passe dans la région de Khajuraho. Marc balance. Notre baba occidental a acheté une moto, pour moins que la Nano que l'industriel Tata promettait, il y a six ans, lors de notre dernier voyage en Inde, pour un lakh (10'000 roupies). Il répare les vélos, équipe l'atelier de son hébergeur, songe à acquérir un bout de terrain et rêve d'épouser une Indienne.

Tout le contraire du jeune Rocky. A 17 ans, il n'a pas de girlfriend. Il rêve d'épouser une étrangère, car les Indiennes sont "trop capricieuses". Il sait que son choix sera surtout gouverné par ses moyens et qu'il ne sera pas simple d'échapper à sa caste. Il travaille dure pour acquérir l'anglais, devra travailler encore plus pour étoffer sa culture, sans perdre ses origines, s'il veut accéder un nirvana des guides qui accompagnent des petits groupes de touristes fortunés, ceux qui ne courent pas derrière les touristes en leur proposant leurs services pour 200..., 100 roupies (le litre de gazoline est à 65 roupies, l'équivalent de 20 fr le litre en pouvoir d'achat d'un instituteur de chez nous).

Rocky est un joli garçon. Khajurao, doté l'an prochain d'une spendide aerogare capable d'accueillir des vols internationaux, et sa douzaine de statues pornographiques, une halte desormais bien installée d'un ou deux jour sur le triangle touristique Dehli, Agra Varanasi lui offre ses chances. L'avenir de la bourgade scindé en deux quartiers, the old village, aux rues étroites où la poliomyélite sévit encore, peuplé d'hindous majoritairement shivahiste - a powerfull god, dit Rocky, who I pray - et le nouveau village, ses hôtels et ses échoppes, peuplé de Cashmiris qui tiennent comme ailleurs les commerces des lainages et de migrants des provinces du nord du pays, tel Amit Bajpai, de Lucknow de l'Uttar Pradesh, qui chevauche sa moto comme Don Quichotte sa vieille rosse.

Comme le chevalier de la Mancha, Amit veut terrasser la corruption qui mine l'Inde. Il n'est pas au bout de sa quête... Il s'est inscrit dans les rangs de l'AAP, le parti qui monte et dont le bouillant chef, Kejriwal, un populiste, façon Stauffer, vient de conquerir Dehli. Il ratisse large dans les rangs des malaimés, des trimeurs, des faces sombres qui peuplent les rues quand les placards électoraux géants affichent des candidats à peau blanche.

Son écho dans la population effraye l'intellintgentsia jusqu'au président qui a mis en garde contre la vague populiste dont le Congrès, le parti de la dinastie Gandhi fera les frais en avril ou mai prochains. Les sondages lui promettent le pire de ses résultats électoraux, ce qui devrait ouvrir la porte du gouvernement de la République fédérale au parti hindou BJP et à son chef controversé, le maître du Gujarat, Modi, un Blocher indien, ancien vendeur de thé, qui parle mal l'hindi et l'Anglais et à qui l'opposition reproche un massacre de musulmans en 2002.

Rocky n'est pas encore guide, mais connaît le parcours. Dans le vieux village, on retrouve Amit. Voyez sur le porche des portes, le medecin à noté les enfants qu'il a vacciné contre la poliomyélite. Son dernier passage date du 21 janvier dernier. La ruelle est bordée de maisons, aux toits plats d'où des enfants nous surveillent. Elles sont peintes de couleurs pastels.

A un mini carrefour, un Indien nous interpelle dans un français presque impeccable. Il a passé quelques années à vendre des bronzes qu'il récupère, dit-il, auprès de familles indiennes de la région.

- Mais pourquoi ne passeriez-vous pas dans ma boutique, c'est à deux pas? Deux pas en effet, nous lui tournions le dos. La boutique est divisée en deux espaces: les bronzes récupérés et les fabrications récentes qui "se vendent à 2500 roupies le kilo", dit le vendeur dans un clin d'oeil. Lui aussi connaît son métier et l'art d'appâter le client, même sans le faire asseoir, même sans tasse de thé et sans marchandage par dessus le marché...

17:09 | Lien permanent | Commentaires (0)