Réaction du XIXe aux périls du XXIe (22/10/2013)

"Menacée, la presse magazine se met en grève". Le titre de mon quotidien préféré, ce mardi 22 octobre, illustre hélas que trop bien l'état de la presse française (et mondiale). La radio et la télévision, les médias du XXe siècle, n'avaient que peu érodé la domination de la presse écrite, née au XIXe siècle grâce à une invention magnifique, la rotative. La machine avait permis de multicopier, par centaines de milliers, en quelques heures, des feuilles dont l'audience ne dépassait guère celle d'une ville ou d'une province. La presse est née avec la démocratie, l'émancipation du citoyen, celle du peuple et - évolutions plus dramatiques - l'émergence du populisme et la montée de la nation et du nationalisme.

Le XXIe démarre avec une machine plus formidable encore que la rotative. Si formidable qu'elle va tuer la presse et bouleverser sans doute aussi les mass média du XXe. L'Internet, l'ordinateur et ses logiciels commandent deux révolutions: celle des éditeurs et celle des lecteurs.

Les éditeurs traditionnels qui détenaient l'outil de production se se l'ont fait chiper par de nouveaux acteurs pour l'heure tous américains à une exception près: Microsoft, Apple, Google, Facebook, Samsung (qui parle encore d'IBM, d'HP ou de Dell?). Désormais ce sont eux qui dictent les règles et engrangent les profits. Ils disposent tout à la fois de l'outil de conception et de diffusion des nouvelles.

Les lecteurs qui se disent généralement attachés à la presse écrite sont en fait des infidèles et des menteurs. Sinon comment expliquer la baisse continue depuis le tournant du siècle des copies distribuées il est vrai à la main, selon une méthode qui n'a pas évolué ou si peu depuis Gutenberg: le kiosque et le porte à porte avant l'aube.

Les lecteurs donc passent leur temps qui n'est pas extensible à autre chose qu'à la lecture des journaux. Les plus avancés ont découvert l'incroyable richesse du net, au travers des tablettes, dont le nombre va sans doute exploser. Elles offrent aux lecteurs le monde entier à portée d'index. Ils peuvent plus vite et pour moins cher télécharger Le Monde, Libération, le Figaro et, selon leur idiome et leurs intérêts, qui sont particulièrement nombreux et diversifiés à Genève, les gazettes des coins les plus proches ou les plus reculés du vaste monde, mais aussi accéder à des communications et des connaissances de toute sorte, des nouveaux médias en ligne, mais, et surtout, des réseaux sociaux qui captent leur attention et consume leur maigre temps de lecture.

Et parmi ses lecteurs, il y a quelques blogueurs. La plupart sont balbutiants, certains s'affinent, prennent de l'assurance au fil de leur publication, quelques uns produisent des œuvres d'intérêt et viennent mordre un peu dans l'audience de la presse.

Face à cette double révolution, à quoi sert la grève? Elle ne changera pas le cours des choses, elle n'émeut pas les lecteurs qui ont pris goût à leur nouvelle liberté. C'est un peu comme quand on est passé du même plat pour tous de la cantine à la variété des restaurants d'une ville ouverte. Le menu unique que sert les quotidiens à leurs derniers lecteurs appartient comme la grève au XIXe siècle.

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