Charles Poncet et la "vieille catin ridée" (13/12/2009)

poncet charles.jpgLe 6 novembre 2003 «l'Hebdo» publiait sous la rubrique «opinion» une «lettre ouverte à Fernand Cuche», signée par Charles Poncet. Dans cette lettre l'auteur écrit entre autre: «Loin d'offrir aujourd'hui aux pupilles affamés de l'Helvétie une gorge nourricière et salvatrice, l'agriculture suisse n'est plus qu'une vielle catin ridée (...)" Le pamphlet fit mouche. Les campagnes brandirent les cochons pour répondre à l'insulte. Des plaintes furent déposées. On a recouru même au Conseil suisse de la presse pour faire taire l'effronté Genevois.

Charles Poncet passait les paysans au vitriol. Il dénonçait alors le coût à ses yeux insupportable que l'agriculture et l'industrie agro-alimentaire nationale faisaient supporter à l'environnement et surtout aux contribuables et aux consommateurs suisses: huit milliards de francs tout ronds par an.

Six ans plus tard, le coût du système politico-agro-alimentaire suisse atteint encore (?) six milliards de francs, mais la charge sur l'environnement a significativement diminué. C'est écrit noir sur vert dans "L'agriculture suisse en mouvement", la dernière brochure de l'Office fédéral de l'agriculture qui tire le bilan de dix années de la loi sur l'agriculture.

agricullture en mouvement.jpg

Dans les campagnes, la plume de l'avocat a laissé des marques indélébiles. Mais c'est la politique conduite par le Conseil fédéral et sa présidente actuelle Doris Leuthard qui fait le plus mal. Car pour réduire d'un quart la trace de l'agriculture dans le porte-monnaie des consommateurs contribuables (qui ne s'en sont vraisemblablement pas rendu compte, mais qui consacrent tout de même moins de 8% de leurs dépenses à leur nourriture en moyenne contre 12% à leur santé), il a fallu réformer de fond en comble le pilotage de ce secteur économique (2,2% de la population, 1% du PNB) qui s'il ne fait plus la pluie et le beau temps à Berne façonne encore plus du tiers du paysage nationale.

"L'agriculture suisse en mouvement" est donc un bilan, un bilan rédigé par l'administration fédérale sur la loi sur l'agriculture. On n'y lira donc aucune critique sur la manière dont elle a conduit la réforme. Aucune critique non plus sur les objectifs politiques qu'ont fixés le Conseil et les Chambres fédérales: rendre l'agriculture suisse euro-compatible dès 2015 (le délai vient d'être reporté à 2017, date approximative où l'Accord de libre échange en cours de négociation pourrait déployer tous ses effets).

Dans sa préface, Doris Leuthard dit merci aux paysans d'avoir accepté le changement. Mais la cheffe du Département de l'économie ne précise pas  que l'agriculture était resté très imprégnée dans ses structures et sa mentalité par le plan Wahlen, jusqu'après la chute du Mur de Berlin. Plus grave la ministre ne dit rien de l'objectif, donc des étapes à venir, ni des conditions de travail dans l'agriculture où le salaire de l'ouvrier n'atteint toujours pas 3000 francs par mois pour 50 heures par semaine (sauf à Genève). Car la réforme de l'agriculture suisse est loin d'être achevée. Pour être euro-compatibles, les agro-entrepreneurs suisses - il ne faut plus parler de paysans, ni même d'agriculteurs - ont encore du travail.

Même si la production de denrées alimentaires restera sans doute un axe important de l'activité, ce sont les branches annexes qui n'ont parfois pas grand chose à voir avec l'agriculture, comme l'agri-tourisme, et les plus environnementaux et qui nourriront les campagnes. Le prix du blé et du lait ont déjà chuté de 30 à 50% à la production, mais ils sont encore moitié plus chers qu'en Europe.

Le salut viendra sans doute de plusieurs actions:

Mais les agro-entrepreneurs ne sont pas les seuls maîtres de la révolution agro-alimentaire. Le Monde de samedi signale que 40% de la nourriture est gaspillée aux Etats-Unis. Ce sont les problèmes de la surproduction saisonnière, du stockage, de la nourriture de saison, de la qualité formelle des produits, du second choix, etc. qui sont en jeu.

"L'agriculture suisse en mouvement"" aurait pu consacrer au moins un chapitre à ces questions.

10:01 | Lien permanent | Commentaires (7)