400, 500, 600 hectares de terres agricoles bétonnés? (17/11/2008)

Mâche.pngQuand donc le tabou du déclassement d'une nouvelle grosse tranche de la zone agricole genevoise va-t-il tombé? Voilà trois ans qu'on nous dit que Genève hébergera 100'000 habitants et 70'000 emplois de plus d'ici 2030. Or personne ne connaît l'emprise exacte du projet d’agglomération franco-valdo-genevois sur la zone agricole. Martine Roset, viticultrice et maire de Satigny, est en charge du dossier à AgriGenève. Elle attend avec impatience des réponses des autorités. Combien d'hectares seront donc soustraits à la culture? Quels impacts pour les agriculteurs concernés et pour l'alimentation des Genevois? Et quelques autres questions brûlante du type: à quel prix ces terres seront-elles négociées? Et qui seront les heureux gagnants du plus formidable jackpot politique des ces cinquante dernières années?

Reprenons dans l'ordre.

Tabou le déclassement des terres agricoles? Oui, jusqu'à présent. Le projet d'agglo rouvre une boîte de Pandore. C'est la première fois depuis les grands déclassements des années 50, que Genève va devoir déclasser plusieurs centaines d'hectares. Les enjeux politiques, économiques, environnementaux sont considérables.

Le projet d'agglomération franco-valdo-genevois en panne démocratique. Le projet Cramer doit impérativement être remis sur les rails. Le Grand Conseil n'a jamais débattu du sujet. Ces rails sont celles du Plan directeur cantonal. Modifié en 2006. la loi est en principe valable jusqu'en 2012. Les libéraux ont déposé une motion pour que sa révision entre en chantier rapidement. A l'autre bout de l'échiquier politique, le groupe de 500 mètres de ville en plus planche sur un projet concret assez différent du projet d'agglomération. Bref 2009, année d'élection du Grand Conseil, les plans sur la comète que constitue jusqu'à présent le projet d'agglo devront redescendre sur terre. ça va être chaud, chaud, chaux.

Chiffrage de l'impact du projet d'agglo sur l'agriculture et l'alimentation des Genevois. Aussi curieux que cela puisse paraître ce n'est que très récemment qu'on s'est soucié des conséquences sur l'outil de travail des paysans qu'entraîneront le logement de 100'000 Genevois et la localisation de 70'000 emplois de plus d'ici 2030. AgriGenève et les Chambres d'agriculture de la Haute Savoie et du Pays de Gex ont réclamé des études d'impact. Ces études sont en cours depuis juillet. Elles ont été confiées au bureau Acad de Guy Dériaz et à Indigo un bureau de Chambéry. Parallèlement l'Université de Genève analyse l'effet du projet d'agglo en termes de souveraineté alimentaire.

A quel prix les terres agricoles seront-elles négociées? Accrochez-vous!

Actuellement, le prix des terres agricoles est bloqué à 8 francs le mètre carré (soit 80'000 pour une parcelle de la grandeur d'un terrain de football). Ce prix est fixé à Genève par la Commission fondière agricole qui est en charge de l'application de la Loi fédérale sur les biens-fonds agricoles, loi votée par les Suisse en 1995, qui réserve aux seuls agriculteurs professionnels le droit d'acheter les terres, y compris les parcelles situées en zone de construction... Depuis la chute du Mur de Berlin, l'agriculture suisse, qui n'avait pas grand chose à envier au système soviétique, subit de profondes réformes scandées par des programmes quadriennaux. Nous en sommes au troisième, dont le nom est PA 2011. Objectif la rendre eurocompatible à l'horizon 2015 et peut-être plus tôt, puisque Doris Leuthard vient d'engager les négociations avec Bruxelles pour un accord de libre échange avec l'UE. Or PA 2011 a changé la règle qui réserve aux paysans la possibilité d'acheter des terres encore vouées à l'agriculture, mais en zone constructibl. Désormais tout promoteur sera traité également. Cette décision fait sauter le verrou qui entravait le déclassement de nouvelles zones constructibles.

Quand au prix, Mark Mullet parle de 450 francs le mètre carré pour une densité de 1 ( un mètre carré de plancher pour un mètre carré de terrain), soit 4'500'000 francs pour une parcelle de la grandeur d'un terrain de football, soit 56 fois plus que le prix du terrain agricole! Certes le propriétaire doit s'acquitter de taxe d'équipement et autres impôts. N'empêche que le pactole est remarquable. Multipliez ce montant par 500 hectares et vous aurez une petite idée- très grossière certes - de l'enjeu économique: 2,25 milliards de francs. Joli somme, qu'il faut cependant mettre en regard des montants articulés pour Praille Acacias Vernets, 4 à 7 milliards ou en regard des casseroles de la Banque cantonale que les contribuables ont dû épongé: 2,2 milliards de francs.

Qui seront les heureux gagnants du jackpot? Les propriétaires des terres agricoles concernées, qui ne sont pas tous - loin s'en faut -des agriculteurs. Rien pour les collectivités publiques? La question de l'appropriation de la plus-value foncière est au coeur de bien des révolutions. Dans les années 50, quand le canton déclassa des milliers d'hectares de terres agricoles sur lesquelles la ville de Genève, les cités satellites de Vernier, Lancy, Meyrin, Onex, Thonex, aujourd'hui Bernex, Plan-les-Ouates, Veyrier, Grand Saconnex, etc, et plusieurs villages se sont bâtis, l'écart de prix entre la zone déclassée et la zone agricole était moindre. Mais surtout, l'écart de prix a longtemps été moindre entre les zones elles-mêmes du fait de l'intervention de l'Etat qui en a bloqué le prix dans l'idée bien légitime de freiner la spéculation foncière et d'éviter que par le fait du prince certains propriétaires ne deviennent millionnaires.

C'est dans ce souci que les milieux agricoles ont ressuscité une vieille idée, proposée dans les années soixante par l'un des leurs, de taxer la plus-value foncière pour que le bénéfice résultant de la vente d'une parcelle nouvelle classée en zone à bâtir profite aussi à l'ensemble de la population. Le projet de loi 10125 qui vient d'être voté par la commission de l'aménagement du territoire propose de prélever 15% du bénéfice - le Conseil d'Etat proposait 20% comme à Neuchâtel, les socialistes - auteurs du PL9178 - 25%, les libéraux 5% - pour les collectivités publiques et pour un fonds de développement de l'agriculture genevoise. Le député libéral Chritophe Aumeunier devrait déposer le rapport pour la session du Grand Conseil des 4 et 5 décembre. Le Conseil d'Etat pourrait demander l'urgence du fait que la loi votée prévoit de taxer la plus-value réalisée dans le cadre de l'urbanisation des Vergers à Meyrin

A noter que la loi 10125 ne prévoit la taxation d'une plus-value que lorsqu'un terrain inconstructible (en zone agricole) le devient par décision du Grand Conseil. On se demande bien pourquoi les plus-values gigantesques résultant du classement de la zone industrielle de Praille Acacias Vernets en zone 2 ne donneront pas lieu à une taxation semblable. Peut-être qu'il est plus indécent aux yeux des députés de devenir millionnaire pour un paysan que pour un industriel ou un commerçant ou un fonds de placement?

 

 

 

 

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