La Maison des cantons ou le retour de la Diète (21/08/2008)

maison des cantons 2.pngLes cantons suisses ont désormais leur Maison commune, Speichergasse 6, à Berne. Son inauguration a eu lieu lundi. Anciennement occupée par Swisscom, la demeure a l’ambition d’harmoniser le chœur des 26 Etats fédéraux que le chef d’orchestre sis à deux pas, au Palais fédéral, fait parfois dissoner. On se souvient de la célèbre partition «Paquet fiscal» qui en 2004 avait provoqué la première bronca gagnée par les cantons contre le diktat de la Berne fédérale.

La nouvelle répartition des tâches entre cantons et Confédération et les nouvelles clés de répartition de la manne fiscale commune (RPT) est un serpent de mer qui provoque toujours bien des fausses notes. Bref, il était temps, 707 ans après sa fondation et 160 ans après sa Constitution moderne, que la Suisse fige dans la molasse bernoise la présence des cantons suisses. Le fédéralisme en sortira-t-il renforcé?
Qui sait? Les conférences des directeurs cantonaux, comme on dit en français fédéral pour désigner les réunions politiques non contraignantes des conseillers d’Etat, devraient y gagner un surcroît de visibilité. Les recommandations de ces amicales en seront-elles plus légitimes? Que ce soit la création des Hautes écoles spécialisées, la réforme de Bologne, Harmos ou encore, cette semaine, la fin du contingentement des cabinets médicaux, ces grands enjeux forgent autant de concordats qui obligent les parlements cantonaux de milice.
Interrogé cette semaine par la presse, Pascal Broulis, le seul président durable d’un gouvernement cantonal — le radical est en place pour 5 ans; c’est une des rares nouveautés de la Constitution vaudoise — fait contre mauvaise fortune bon cœur. Il trouve la Maison des cantons coûteuse et même luxueuse. Il aurait pu ajouter que toute administration a une tendance naturelle à s’auto-justifier. Mais, puisqu’elle existe, il s’en sert et y a réuni cette semaine le gouvernement vaudois in corpore. Les Vaudois ont toujours eu des relations privilégiées avec leurs Excellences de Berne.
Laurent Moutinot, dont le règne à la tête du Conseil d’Etat s’achève fin novembre, n’a pas envisagé pareil déplacement pour le traditionnel séminaire au vert du gouvernement genevois. Il est vrai que Genève joue dans la cour des grands et a toujours quelque peu snobé la Berne fédérale et ses composants. A l’exception notoire de la Fribourgeoise Martine Brunschwig Graf, aucun membre récent du Conseil d’Etat n’a d’ailleurs présidé une Conférence des directeurs cantonaux. Genève est pourtant l’un des gros contributeurs du système fédéral. Et les dossiers politiques qui comptent et coûtent — santé, social, formation, transports — se négocient à Berne, quand ce n’est pas à Bruxelles.
Les outils de la concordance mettent sûrement de l’huile dans les rouages de la maison suisse. Ils réduisent le bruit des engrenages fédéraux, mais n’est-ce pas au prix d’une plus grande viscosité du système politique?
Qu’on le veuille ou non, les conférences des directeurs cantonaux accroissent le déficit démocratique. Certes, les parlements cantonaux gardent la main sur les lois et les droits populaires sont préservés. L’UDC a par exemple lancé des référendums contre l’harmonisation scolaire dans huit cantons alémaniques. Ce qui vaudra à la Suisse au moins huit campagnes de votation sur le même sujet, à des dates différentes. Pas de droit de veto à proprement parler, mais de quoi ralentir et renchérir sensiblement le processus de l’harmonisation scolaire et brouiller la lisibilité de ce projet aux yeux des citoyens.
N’est-il pas temps de mettre en œuvre l’étage politique adéquat? L’harmonisation ne peut, par définition, qu’être le fruit d’une décision commune. C’est au parlement fédéral de s’en saisir. La chambre des cantons est là pour faire entendre la voix des minorités. Une loi fédérale sera votée. Et s’il y a référendum, alors les Suisses, tous les Suisses, pourront dire s’ils veulent ou non d’une plus grande harmonisation. La Maison des cantons est un mauvais signe pour la Suisse, c’est le retour à la Diète d’avant 1848.
Publié le 21 août 2008 dans la Tribune de Genève

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